TERRA INCOGNITA ?
S’il est une commande qui a échappé aux architectes modernes, c’est celle de la construction agricole. Tout occupés à bâtir des logements et des équipements pour des villes en pleine croissance, ils portaient sur le monde rural un regard condescendant ou empreint d’un romantisme un peu naïf. Leur intérêt se limitait à la transformation de quelques vieilles longères ou moulins en résidence secondaire. De leur côté, les agriculteurs ne se sont probablement jamais aperçus de cette absence. Ils ont pourtant eu fort à faire lorsqu’il leur a fallu reconstruire presque tous leurs bâtiments en les adaptant aux nouveaux modes de production. Pragmatiques, ils ont utilisé des systèmes industriels, comme ces beaux et simples hangars métalliques que l’on peut encore voir dans nos campagnes, tout en prolongeant leur ancestrale pratique de l’autoconstruction. Mais avec la fin de l’exode rural au tournant du siècle, un basculement s’est opéré. Le territoire rural apparaît désormais davantage comme une extension de la ville. L’activité agricole n’y est plus dominante, supplantée par les secteurs industriel, tertiaire et touristique. Au même moment, l’architecture tente de réinvestir timidement le monde de l’agriculture. Après le patient travail des CAUE, une poignée d’enseignants des écoles nationales supérieures d’architecture ont créé un réseau qui travaille sur ces problématiques. Les nouveaux impératifs environnementaux, l’exigence normative exponentielle et une complexité technique croissante redonnent aujourd’hui une légitimité à la présence des architectes. Les paradigmes ont cependant changé depuis longtemps. La « ferme » ne peut plus être la villa néopalladienne ou la bâtisse néo-régionaliste : c’est un bâtiment industriel qui doit s’intégrer dans l’écosystème de son territoire et dont l’architecture reste aujourd’hui à inventer.
Emmanuel Caille