Architecte : Francesca Torzo Rédigé par Pierre CHABARD Publié le 03/03/2020 |
Huit ans après le concours, deux ans après l’exposition
remarquée du projet à la Biennale de Venise, le Z33, maison de l’art
contemporain, du design et de l’architecture à Hasselt, dont Francesca Torzo signe
le réaménagement et l’extension, ouvre enfin ses portes. À partir du 14 mars
2020, trois expositions temporaires occuperont cette architecture ténue et
miraculeuse, à la fois forte et fragile, étonnante de caractère et de
sensibilité, magistralement construite.
Ce
qui fait l’architecture du nouveau Z33 n’est ni une idée, ni un slogan, ni une
image, ni une forme. C’est une brique. Mais pas n’importe laquelle. Celle-ci
exigea trois ans et demi de travail avec la vénérable briqueterie danoise
Petersen Tegl – également fournisseur du Kolumba Museum, dont Francesca
Torzo fut chef de projet chez Zumthor. Chaque aspect de cette brique a été
patiemment mis au point : sa forme en losange, ses proportions (celles d’un
visage, haut de trois lits de briques traditionnelles), sa couleur velouté (comme
du cuir ou de la terre mouillée), sa texture plutôt lisse mais ravivée par la
trace toujours irrégulière de la main, ses variantes (pour les chaînages, les
plis du mur, son soubassement), ses joints teintés dans la masse de 0,75 mm,
et bien sûr sa fabrication en série, alternant process industriel et manuel,
qui a monopolisé l’entreprise pendant de longs mois. Elle pare aujourd’hui les
hautes façades de la nouvelle aile et a inspiré le nouveau logo de Z33. À elle
seule, elle concentre et tient en équilibre bien des paramètres de cette
opération aux multiples enjeux et au budget modeste.
Silence et dialogue
Depuis
1996 (mais depuis 2002 sous ce nom), le Z33 mène une trajectoire
institutionnelle aussi hybride que dynamique, zigzagant entre création,
recherche et diffusion, de l’art, du design et de l’architecture contemporains,
sans disposer pour autant de collection. Bien que son identité réside
principalement dans son adresse (au n° 33 Zuivelmarkt [rue du marché
au lait, d’où son énigmatique nom de code), le Z33 se trouvait quelque peu
disloqué entre plusieurs bâtiments disponibles dans l’îlot composite de l’ancien
béguinage d’Hasselt où il s’est installé comme un bernard-l’hermite : les
maisons des béguines elles-mêmes, qui lui servaient
jusqu’à présent de lieu de monstration et de bureaux (avant d’être vendues en 2016
à l’université locale pour loger son école d’architecture), et le
« Vleugel 58 », un bâtiment muséal, au style moderniste et héroïque,
opulent et décoratif, typique de la Belgique de la fin des années 1950, qui
continuera d’offrir ses belles et vastes salles d’exposition au Z33 mais qui
manque de lieux d’accueil, de stockage et de production.
La
libération de la grande parcelle adjacente déclenche en 2010 une réflexion d’envergure
avec, à la clé, un concours international d’architecture en trois phases pour
réaménager le Vleugel 58 et en construire une extension. Lauréate surprise
parmi cinq finalistes renommés (Architecten
De Vylder Vinck Taillieu, Xaveer De Geyter Architects, Jun’ya
Ishigami, SO – IL), l’architecte italienne Francesca Torzo, basée à Gênes
depuis 2008, frappe par sa compréhension fine de l’hétérogénéité de cette
institution et de son site. Plutôt qu’une forme, elle propose un fond ;
plutôt qu’un événement architectural focalisant l’attention et signalant son
contenu, elle propose un objet analogue, une pièce de plus dans le puzzle
urbain, un peu comme on enchâsse une brique manquante dans un mur lacunaire et
composite, pour lui rendre son intégrité ; plutôt qu’une architecture
exhibitionniste, se donnant à la ville, elle propose un bâtiment opaque pour
refermer l’îlot et restaurer la qualité insulaire de l’ancien béguinage dont
les maisons tournent le dos à la rue et s’ouvrent généreusement sur le jardin
intérieur.
L’acte inaugural du projet de Francesca Torzo tient par
conséquent à l’installation, à front de rue, d’une façade, aveugle mais pas
muette, de 11,5 mètres de haut. Animée par deux plis qui lui sont dictés
par les angulations de l’îlot, elle n’est interrompue que par trois percements,
de proportions différentes, donnant étrangement sur des espaces extérieurs,
comme pour contredire la présence pourtant massive du bâtiment : une
petite baie carrée qui ouvre sur une terrasse suspendue, un grand porche pour
les livraisons par camion et une haute faille qui laisse entrevoir le patio d’entrée.
Pour le reste, c’est une muraille colossale et continue de
près de 40 cm d’épaisseur et de 50 mètres de long, sans joints de
dilatation, mais à laquelle son parement de brique confère étrangement l’échelle
de la main. Frontale et monumentale, solide mais jamais pesante, éminemment
flamande par sa matérialité mais presque romaine voire pompéienne par son opus reticulatum,
cette façade à la fois étrangère et contextuelle invite le nouveau bâtiment
dans la ronde disparate des murs de briques qui ceignent l’îlot : briques
marron et modernes du Vleugel 58, briques noircies et irrégulières de l’ancien
béguinage, briques plus roses aux joints clairs d’une ancienne distillerie
reconvertie en musée du Genièvre, briques faussement vieillies d’une rangée de
maisons des années 1980. Avec ses tonalités profondes, quelque part entre le
brun et le pourpre, ses bords saillants, son léger grain et son appareil
ultra-précis, la brique-losange de Francesca Torzo se distingue de toutes les
autres tout en ouvrant le dialogue. Singulière, elle rejoint la famille des
briques présentes sur le site tout en disant tout ce qu’elles ne sont pas.
Complexité et contradiction
Inclusive et relationnelle, sensible et rationnelle, l’architecture
de Francesca Torzo ne se résume pas à un effet d’enveloppe. Mettre en relation
le tout et les parties, le mur et la brique, assumer l’acte radical de séparer deux espaces, qualifier le seuil et son
franchissement : les thèmes qu’énonce sa façade irriguent tout le reste du
bâtiment. Sa partition intérieure répète et décline celle qui d’emblée
distingue la rue du musée, le dedans du dehors de l’îlot. Celle-ci n’est d’ailleurs
que la réinterprétation architecturale de ce que Francesca Torzo a longuement
observé dans l’ancien béguinage : emboîtement d’enceintes successives,
enfilades de portes, d’une échelle à l’autre, jusqu’à la cellule ultime.
Plutôt que ces grands volumes dits flexibles, voire
« capables », plutôt que ces attendues white boxes qui
neutralisent l’espace muséal depuis un demi-siècle, cette « maison »
des arts contemporains offre ainsi une partition de pièces : des chambres,
clairement circonscrites, toutes différentes, variant en taille, hauteur et
proportion, comme autant de mondes, de monades, de totalités singulières,
enchâssées les unes dans les autres et qui toutes portent un nom : la
« Tour », étroite et verticale, haute de 11 mètres, éclairée
zénithalement ; le « Lac », étendu et horizontal, la plus vaste
des salles d’exposition et la seule qui s’ouvre vers le jardin ; l’« Allée »,
le long de la grande façade, espace étonnant, au sol en pente douce, aux hauts
murs nus animés d’une cassure, qui semble reproduire l’expérience des rues
irrégulières du vieil Hasselt. Entre ces pièces, non pas de simples cloisons,
laissant l’éventualité d’une évolution du plan, mais des murs porteurs de béton
armé, assumant la pérennité de cette division de l’espace. Si toutes sont
uniques, ces pièces partagent un même décor, une même matérialité, une même
architecture réduite à l’essentiel : un sol en béton lissé, au lustre
profond de parquet flamand, des murs plâtrés et revêtus d’un enduit brossé à la
chaux dont le grain accroche et module magnifiquement la lumière, des faux
plafonds en staff moulé, comme gaufrés d’un motif en pointe de diamant qui assourdit
l’écho. Toute la technique est invisible, intégrée dans le plafond et le sol,
lequel est séparé du mur par un joint creux où glisse l’air frais ou chaud.
Dans ces lieux à nu, une grande part de l’effet
architectural tient au passage entre deux pièces, à la position et à la
proportion des percements, à leur architecture aussi. Leur double ébrasement,
rappel des baies des façades, découpe des facettes d’ombre ou de lumière qui en
soulignent la présence, affinent l’épaisseur du mur tout en démarquant un
seuil. C’est pourquoi, en dépit du parti pris de découpage, une grande fluidité
caractérise non seulement la déambulation entre ces « chambres d’art »
mais également la relation entre les différents types d’activités (accueil,
exposition, production, médiation, administration). On pense à la fois aux
intérieurs peints par Vermeer ou au plan de la Villa Madama que Robin Evans
décrivait comme « une matrice d’unités distinctes mais parfaitement
reliées entre elles1 ». Le corps
et le regard circulent, déambulent, vagabondent. Les enfilades, cadrages,
surplombs, lignes de fuite, superpositions de plans dans la profondeur,
contredisent sans cesse la muralité brute des pièces du Z33, elle-même
travaillée par d’infinis effets de lumière. Diffusion et contre-jour, modelé et
contraste, irisation et éblouissement, imperceptibles échanges chromatiques
métamorphosent sans cesse les surfaces et façonnent les traversées. Tous ces
dispositifs architecturaux tissent ensemble les pièces du Z33 et ses différents
bâtiments (l’extension et le Vleugel 58) mais les enchevêtrent surtout Ã
son site, en un tout inextricable, sans instaurer de hiérarchie stylistique ou
historique entre les objets qui le composent.
Avec autant d’autorité dans le projet que sur le chantier,
Francesca Torzo livre là une contribution majeure à l’architecture
contemporaine : sophistiquée mais pas dispendieuse, soucieuse de l’historicité
des lieux mais sans fétichisme patrimonial, attentive à la complexité
programmatique mais indifférente au dogme facile de la flexibilité. Mais
surtout, critique de la normalisation et de l’optimisation imposée par l’industrie
du bâtiment, elle démontre le gain d’un engagement, voire d’une immersion de l’architecte
sur le terrain du chantier, d’une mobilisation de tous les moyens matériels de
l’art de bâtir, d’une capacité à fixer avec les ouvriers le degré de précision
et de tolérance des ouvrages ; bref, loin de tout effet d’image, de faire
sourdre l’architecture de sa chair même. À la fois radicale et contextuelle,
sensuelle et austère, opaque et baignée de lumière, morcelée et fluide, l’architecture
de Francesca Torzo peut ainsi tirer sa poésie de la mise en œuvre concrète d’une
série de contradictions, de la pétrification de paradoxes béants.
Maîtres d'ouvrages : Province belge de Limbourg
Maîtres d'oeuvres : Francesca Torzo
Entreprises : association momentanée Houben-Belemco
Surface SHON : 4 600 m²
Cout : 9,74 millions d'euros HT
Date de livraison : mars 2020
[ Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalièreArchitectes : Devaux &… [...] |
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