Résidence pour étudiants et jeunes actifs, campus de Paris-Saclay

Architecte : 51N4E / Bourbouze & Graindorge
Rédigé par Karine DANA
Publié le 15/12/2017

Dans un contexte de virginité urbaine et sociale, il est avant tout question de créer les conditions de la ville et de la vie collective par l’architecture. Les deux équipes 51N4E et Bourbouze & Graindorge y parviennent ici à partir d’une fine stratégie d’implantation et en ramenant la petite échelle – celle de l’action, de l’expérience et de la rencontre – au même niveau que la grande : celle du paysage et du devenir.

 

Est-il possible d’aborder une opération architecturale réalisée sur le campus de Paris-Saclay sans revenir sur l’incompréhensible ? Alors qu’il y a tant de territoires « grands parisiens » déjà viabilisés mais sous-exploités, en attente de réactivation et de reprogrammation, comment justifier l’artificialisation de plusieurs centaines d’hectares de terre agricole pour la création de toutes pièces d’une ville universitaire située à 30 km de Paris ? Le fantasme d’une ville-campus du niveau des universités anglo-saxonnes constitue bien sûr l’arrière-plan politique de cette décision. Mais de quelles conditions urbaines embarrassantes les architectes sont-ils donc aujourd’hui les héritiers ?

« Nous avons interprété le campus de Paris-Saclay comme une “ville nouvelle” : une situation très pauvre en matière de stratification et d’appropriation, explique Freek Persyn (agence 51N4E). La problématique centrale de cette pensée de la ville, telle qu’elle est apparue dans les années 1960, tient à ce que les espaces extérieurs ne soient pas qualifiés. Les usagers n’ont pas vraiment de possibilité de les habiter. Par notre projet, nous avons essayé de définir ces entre-deux : nous n’avons pas cherché à réaliser un bâtiment simplement entouré d’espaces verts mais nous avons créé des espaces verts et des vides avec le bâtiment. Nous avons inversé la composition. »

 

La ville par l’architecture

Quand la ville n’existe pas, il y a nécessité de l’engager par l’architecture, par l’intériorité. À travers les réalisations de l’école CentraleSupélec par l’OMA et de l’ENSAE par l’agence CAB, cette attitude est très lisible. Avec la réalisation de cette résidence pour étudiants et jeunes actifs que viennent de livrer les agences 51N4E et Bourbouze & Graindorge sur la partie sud du plateau de Saclay, dans la ZAC du quartier de l’École polytechnique, les architectes ont poussé cette approche de la ville par l’architecture assez loin. « Nous avons concentré la majeure partie du programme le long du grand mail, pour y apporter un maximum de matière et de façon à donner corps à l’idée de construire un bâtiment inachevé, indique Gricha Bourbouze. À Saclay, la majorité des îlots sont rectangulaires, mais le nôtre est triangulaire. Plutôt que d’enfermer la résidence et ses programmes dans une géométrie très contrainte sur le principe d’une cour à trois côtés, nous avons fait en sorte qu’elle ait besoin de ses deux voisins : de futures habitations et un pôle sportif (non construits), ainsi que des logements sociaux et étudiants conçus par l’AUC. Actuellement en chantier, cette opération joue d’ailleurs le jeu de la continuité en reprenant le gabarit de notre bâtiment et sa structure béton. »

Les règles urbaines dictées par le master plan de XDGA-FAA (Xaveer De Geyter et Floris Alkemade) et MDP (Michel Desvigne Paysagiste) étaient les suivantes : fabriquer un front bâti en gradins le long de l’avenue principale, concevoir un bâtiment sur socle et cœur d’îlot à grande cour (suivant le modèle de Cambridge et d’Oxford) et intégrer la trame paysagère principale venant irriguer espace publics et privés.

 

Un urbanisme par incrémentation

Le grand potentiel de la parcelle – il aurait été possible de construire davantage – et la pleine conscience qu’il faut envisager le projet dans sa structure interne comme une source de complexité et de connectivité pour « faire ville » conduisent les architectes à une stratégie d’implantation très agile.

Une bonne part des logements (165) est répartie au nord dans une barre régulière et monofonctionnelle en gradins à R + 6. Celle-ci est interrompue verticalement par trois cages d’escalier à l’air libre, et horizontalement par un socle multifonctionnel et traversant de 6,50 mètres de haut composé de portiques contenant des commerces, des restaurants et des logements. Au sud de la parcelle, cette base très texturée en béton préfabriqué de teinte rosée se détache de ses strates supérieures et se prolonge en petits pavillons à R + 1 accueillant des logements sur jardin, un restaurant inter-établissement, des locaux pour vélos, des futurs commerces et un accès aux parkings. En relation directe avec le sol naturel, ces morceaux en forme d’équerre et de croix sont associés à des espaces extérieurs plantés, patios, cours et cheminements. Leur géométrie, leur orientation et leur proximité permettent de définir des typologies de vides très variées, tantôt resserrés ou évasés, et de qualifier des espaces allant du plus intime au cœur de l’îlot à l’est, au plus public à la pointe ouest de l’emprise. « Ce socle permet de jouer avec la grande échelle, de la perdre puis de la retrouver, et de moduler l’impact des logements développés sur 120 mètres de long, qui semblent absents quand le soubassement déborde du plan de la façade. Il est capital de légitimer et de donner à reconnaître aussi la petite échelle », explique Johan Anrys (51N4E).

Non compositionnel, le mode d’engendrement du plan de masse relève d’une pensée de la ville par le fragment. Les architectes défendent en effet un urbanisme par incrémentation d’autant plus légitime ici à Saclay dans cette condition de ville nouvelle. Ainsi, l’îlot n’est pas envisagé comme une emprise délimitée et autonome mais comme une pièce ouverte qui va chercher ses ramifications et prolongements en dehors d’elle-même.

 

Fusionner les usages

Au service de cette souplesse et de ces gradations, une structure béton est déployée avec des portées de 8 mètres. Elle permet de répondre à d’éventuelles mutations d’usage, notamment pour les appartements en colocation, une offre qui fait son grand retour en force. Du T1 compact ou en coursive au T1 pour les couples, du T2 au T5 en colocation, modulable ou non, les typologies des habitations sont nombreuses. Les logements et autres activités, les liaisons verticales et horizontales, les espaces extérieurs, couverts ou pas, chauffés ou pas, et les espaces collectifs sont pensés ensemble. Une fonction n’est jamais envisagée pour elle-même mais comme la valeur active d’une opération à plusieurs membres. Ainsi, le palier élargi d’un escalier est placé à proximité d’une vue devenant un belvédère, une batterie d’ascenseurs donne sur une salle d’étude vitrée, une laverie sur double hauteur ouvre sur une vaste terrasse en proue de l’édifice, un hall de distribution des logements regarde une salle de restaurant en contrebas, un espace commun est situé à proximité d’un groupe de chambres, une terrasse collective jouxte des circulations verticales, etc.

Équipées d’une cloison intérieure coulissante entre la pièce de vie et l’entrée où sont collées dos à dos les kitchenettes et les salles de bains, les chambres individuelles profitent elles aussi de ces potentiels d’échanges entre espaces. En position fermée, cette paroi translucide permet d’isoler la partie intime de la chambre et de faire la cuisine en maintenant la porte d’entrée ouverte, ainsi connectée aux flux des espaces de circulations éclairés naturellement, ou encore de prendre sa douche face au grand paysage pour les chambres situées dans le bâtiment en gradins. « La manière dont on peut partager la vie est très importante. Il faut trouver des occasions de créer la vie en commun en détournant les usages, par exemple, ou en les mélangeant », explique Cécile Graindorge. « L’organisation générale de notre projet (bâtiments R + 6, couloirs à double distribution, distances de cul-de-sac maximum…) tend à optimiser les surfaces nécessaires à la distribution des logements (réduction du nombre d’ascenseurs, d’escaliers…), de manière à pouvoir proposer ponctuellement, et dans une logique d’équilibre budgétaire, des espaces de sociabilité intérieurs ou extérieurs légèrement surdimensionnés par rapport aux demandes du programme. Toutes les “unités de voisinage” disposent ainsi d’espaces communs généreux, intérieurs ou extérieurs », se réjouissent les architectes.

 

L’architecture attend la vie

Ces stratégies d’associations d’usages fabriquent de nouveaux milieux, de nouveaux climats. Elles reposent sur une vision de la fabrication d’un espace par stratification et par accumulation. On espère qu’elles s’enrichiront avec le temps, au fur et à mesure des pratiques et inventions du quotidien, et peut-être aussi des assouplissements des règles urbaines. « Il est dommage que le projet de paysage du bureau de Michel Desvigne n’autorise pas d’autres plantations qu’une pelouse continue et des arbres. La terre est très fertile sur le plateau de Saclay. On pourrait facilement imaginer une richesse végétale dont notre projet aurait d’ailleurs besoin, pour faire passer le bâti au second plan, par exemple, comme un fond. Il est important de laisser survenir la petite échelle… D’ici quelques années, gageons qu’il y aura néanmoins des poches d’interventions très variées », analyse Freek Persyn.

Très stimulante pour ses futurs voisins, cette opération n’a pas atteint toute sa capacité. Et plus que jamais dans ce contexte de création urbaine, on sent à quel point l’architecte doit être un opérateur critique : additionner, combiner, superposer, soustraire, rapprocher les espaces ayant leur propre qualité d’air, de lumière et de sol afin qu’advienne la vie tant attendue par l’architecture.



Maître d’ouvrage : RSF

Gestionnaire : ARPEJ

Aménageur : EPAPS

Maître d’œuvre : 51N4E (mandataire) / Bourbouze & Graindorge ; concours : Matthieu Moreau pour 51N4E, Nacho Hervias pour B & G ; études : Matthieu Moreau et Samuel Jaubert de Beaujeu pour 51N4E, Rozenn Lagrée et Sergi Catala pour B & G ; chantier : Jan Opdekamp et Matthieu Moreau pour 51N4E, Nacho Hervias et Pauline Trochu pour B & G

Paysagiste : Bureau Bas Smets

BET : AXIO, économie ; EVP, structure ; WOR, fluides

Entreprise : BFC

Programme : résidence étudiante (330 lits), restaurant universitaire, restaurant inter-entreprises, commerces + stationnements

Cout : 17,4 millions d’euros HT

SDP : 11 300 m2

LABEL : BBC Effinergie RT2012

Calendrier : concours, 2013 ; livraison, 2016

- Vue de l'une des entrées dans la résidence caractérisée par son socle continu et traversant en béton préfabriqué teinté-rose.<br/> Crédit photo : DUJARDIN Filip Vue de l'opération dans sa situation actuelle. La façade nord de l'opération avec son profil en gradins donnant sur le mail principal de ce nouveau quartier. L'orientation et la proximité des pavillons permettent de définir des typologies de vides très variées, tantôt resserées ou évasées, et de qualifier des espaces allant du plus intime au coeur de l'ilôt à l'est, au plus public à la pointe ouest de l'emprise Patio entourant des logements Salle d'étude sur double hauteur connectée aux circulations et à une terrasse.

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