Qu'est devenu le « permis de faire »?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 01/03/2018

Article paru dans d'A n°260

À la loi LCAP du 27 janvier 2017 ne manque que la promulgation d’un ultime décret qui doit entériner dans sa globalité le « permis de faire » autorisant l’expérimentation d’innovations contrôlées à des fins d’intérêt public. Pourquoi attendre ? Diverses initiatives se nourrissent de cette démarche alors que, parallèlement, les députés viennent de voter un « permis de déroger », dans le cadre du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC).

Ancré dans la philosophie de la loi LCAP et le rapport de Patrick Bloche, le « permis de faire » relève d’abord d’un état d’esprit pour favoriser l’innovation par le biais de l’expérimentation. Il résulte des réflexions du groupe de travail Innovation initié par le ministère de la Culture et co-animé par Marc Barani, Grand Prix national de l’architecture, l’Association Bellastock, Marie Zawistowski et Lorenzo Diez dans le cadre de la Stratégie nationale pour l’Architecture (SNA).

 

Le « permis de faire », un état d’esprit

« Avec l’objectif de substituer à des obligations de moyens une obligation de résultats, ce dispositif a mobilisé nombre d’acteurs et tous les ministres de la Culture depuis Fleur Pellerin, rappelle Marc Barani. Ce processus progressif qui s’inscrit dans le temps a suscité des envies et une dynamique chez tous les acteurs de l’architecture car, dans les domaines retenus par la loi, il doit permettre d’expérimenter, puis de contrôler les expérimentations et de les valider, sous réserve qu’elles soient répliquables et utilisables par un grand nombre. »

« En matière d’innovation, précise-t-il, savoir régler les problèmes nouveaux identifiés est essentiel. L’expérimentation est donc une étape importante à laquelle l’État a souvent recouru, notamment avec les réalisations expérimentales du Plan construction de 1970 à 1980, dans l’habitat. L’État apportait alors une contribution financière que la raréfaction de l’argent public exclut désormais. Aux commandes des outils législatifs, l’État a cependant autorité pour simplifier des procédures que tous – maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et ingénieurs – dénoncent comme trop compliquées. Au lieu d’incriminer les règles européennes en les abordant comme une série de strates à cumuler, une piste consisterait à tirer la leçon de ce qui est retenu de plus souple selon les pays. En ce sens, l’État peut être le garant d’une recherche avec l’ambition de modifier lois et règlements en s’appuyant sur les résultats des expérimentations pour entériner l’obligation de résultats. »

Sous contrôle de l’État, le « permis de faire » issu de la SNA peut donc avoir valeur de laboratoire pour faire remonter les expériences des experts du terrain : maîtres d’ouvrage, architectes et entreprises dans divers domaines – logement, équipements, urbanisme, stationnement, mutualisation, occupation temporelle… –, mais aussi innover en matière d’assurance et de montage d’opération.

Le principe retenu par la loi LCAP, le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Cohésion des territoires consiste à mettre en place un comité d’experts issus du milieu scientifique de l’architecture et de la construction pour évaluer et valider les expérimentations issues de divers appels à idées, afin de transformer les lignes des règles de l’art par des dérogations contrôlées au Code de la construction. Une fois les expérimentations validées et le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique consulté, c’est à l’État d’accorder « le permis de faire » dans un délai d’un an, le permis de construire emportant ensuite approbation de ces dérogations.

 

Le cadre législatif

Le permis de faire est régi par l’article 88 de la loi1, qui fait référence au Code de la construction et de l’habitat, au Code général des collectivités territoriales et au Code de l’urbanisme, et prévoit deux volets.

– Le premier précise qu’à titre expérimental et pour sept ans à compter de la promulgation de la loi, l’État, des collectivités territoriales et leurs groupements, des organismes d’habitations à loyer modéré, des sociétés d’économie mixte et des sociétés publiques locales intervenant dans l’aménagement pourront déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction pour réaliser des équipements publics et des logements sociaux. Cette dérogation n’est toutefois possible qu’à condition de « substituer des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles ».

– Le second volet porte sur tous les types de projets soumis à permis de construire situés dans le périmètre d’opérations d’intérêt national (OIN) et ouvre de larges possibilités d’expérimentation à toutes les règles, pour la même durée et dans les mêmes conditions de substitution de résultats.

 

1.     Voir texte intégral sur : www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/7/7/2016-925/jo/article_88

 

 

 

Deux points clés : l’expérimentation et l’assurabilité

Catherine Jacquot, ancienne présidente du CNOA, revient sur la loi et le premier décret promulgué pour l’article 88. « Dans l’architecture du quotidien, des équipements et des logements sociaux, la loi LCAP permet au duo maître d’ouvrage/architecte d’expérimenter et d’identifier des objectifs à atteindre en inventant, pour cela, un chemin à l’écart des chemins habituels. Les innovations pouvant porter sur le réemploi des matériaux, la construction de bâtiments fonctionnellement mixtes sans surcoût ou la recherche d’autres façons de réaliser des bâtiments vertueux et intelligents, le décret passé en mai 2017 était en fait un décret partiel. »

Signé par l’ancien gouvernement peu avant les élections présidentielles, il a permis de mettre en place le premier volet de l’article 88 portant sur l’expérimentation dans le logement social et les équipements en se centrant sur la définition du processus d’accompagnement et le suivi des expérimentations et sur deux champs expérimentaux : la sécurité et l’accessibilité. L’enjeu étant de permettre de contrôler et de garantir la réplicabilité des dispositifs expérimentés, le principe consistait à sélectionner un nombre limité de projets sur appels à idées et de tester, par exemple, la mise en place d’escaliers ouverts de type nordique (quand en France des escaliers encloisonnés sont imposés), puis d’évaluer la pertinence d’une telle dérogation.

« Dans la foulée, un second décret complétant le premier devait entériner l’autorisation d’expérimenter en vue de dérogations dans trois autres champs relatifs à la performance énergétique et environnementale, au réemploi et à l’acoustique, poursuit Catherine Jacquot. Après le changement de gouvernement, ce décret, bien que rédigé, n’a pas été promulgué. Parallèlement, la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la Cohésion des territoires a décidé qu’il reviendrait à une future loi en préparation pour le printemps d’ouvrir le Code de la construction en imaginant un autre dispositif de dérégulation au nom de la simplification. Ce 25 janvier, les députés ont ainsi voté le “permis de déroger” – l’article 26 de la loi ESSOC –, dont le texte a été encadré par divers amendements. Celui-ci risque d’abroger l’article 88 de la loi LCAP puisque le permis de déroger “l’engloberait” en quelque sorte. » Plus large que le permis de faire, il autorisera les maîtres d’ouvrage à déroger au Code de la construction, sous réserve d’en respecter les objectifs. Avant son adoption définitive, le projet de loi ESSOC suivra encore un long cheminement parlementaire et son article 26 est susceptible d’évoluer.

« Le “permis de faire” a fait son chemin si l’on en juge par cette ambition de la DHUP d’aller plus loin pour déréglementer ou par des initiatives parallèles : le Lab CDC Architecture lancé par la Caisse des Dépôts et l’Union sociale pour l’habitat, déclinaison proposée par Patrick Bouchain et NAC (voir ci-dessous) », poursuit Marc Barani. Catherine Jacquot et lui estiment que toute déréglementation doit préserver l’importance de la phase d’expérimentation. Pour les projets éligibles, le « permis de faire » serait en effet une garantie pour avancer vers des solutions innovantes et qualitatives dans de multiples domaines, tant dans le logement qu’en urbanisme à travers les OIN, tout en prenant en considération les questions d’assurance. « Alors que, pour le décret LCAP, nous avions l’accord des assureurs, ce permis de déroger où tout semble permis laisse planer plusieurs questions dont celle de son assurabilité et du contrôle des expérimentations envisagées. Deux ordonnances paraîtront dix-huit mois après le vote de la loi pour fixer les conditions d’expérimentation et encadrer la refonte du Code de la construction », poursuit Catherine Jacquot.

« À cet égard, le “permis de faire” a pris de l’avance et a suscité une dynamique et d’innombrables idées, ajoute Marc Barani. Il faudrait donc le chaîner en obtenant sans tarder la promulgation du second décret. La durée des expérimentations prévues par l’article 88 étant limitée à sept ans à compter de la promulgation de la loi LCAP, un an a déjà été perdu. Tout en œuvrant aux principes de dérégulation, rien n’empêcherait le ministère de la Cohésion des territoires de signer le second décret afin que les appels à idées et les expérimentations soient lancés. Le dispositif du permis de faire est suffisamment ouvert pour autoriser des synergies avec d’autres initiatives. »

 

Deux initiatives parallèles

Le Lab CDC Architecture de la transformation lancé par l’Union sociale pour l’habitat et la Caisse des Dépôts à l’initiative de Pierre-René Lemas, alors directeur général de la Caisse, fut ainsi mis en place en 2015 sous le patronage conjoint de Fleur Pellerin et Emmanuelle Cosse, alors respectivement ministres de la Culture et du Logement, lors d’un premier appel à projets expérimentaux. Le 26 janvier dernier, les candidatures de la seconde édition ont été clôturées. En partenariat avec le PUCA, la Fédération des EPL, la Fédération des OPH, la Fédération des ESH, la Fédération Coop’HLM, la SMABTP, l’ADEME, le CSTB et l’AFD, ce nouvel appel à projets centré sur l’impact territorial du logement social et intermédiaire doit faire émerger, à partir des projets de bailleurs, de nouvelles réponses architecturales, techniques et organisationnelles, sur divers thèmes allant de la production locale à la mise à disposition temporaire d’espaces non exploités. Fin avril, cinq projets seront retenus pour une incubation d’environ huit mois. Si le « permis de faire » était entériné par les décrets de l’article 88 LCAP, ces projets pourraient œuvrer dans le cadre. Après leur incubation, ceux dont les bailleurs seraient intéressés seraient soumis à l’approbation des deux ministères, comme prévu par les décrets d’application de la loi LCAP. Ils deviendraient ainsi les « projets pionniers » du « permis de faire ».

L’association Notre Atelier Commun (NAC) et Patrick Bouchain apportent aussi leur pierre au mouvement du « permis de faire » sans pour autant renvoyer explicitement à ses aspects législatifs en essayant par exemple d’écarter les blocages dans la transformation des lieux existants. Selon une maïeutique propre à faire émerger des projets en associant des besoins aux capacités de bâtiments existants, il a entrepris de tester de nouveaux processus de conception, production et gestion du cadre bâti, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

 

Affaire à suivre avec vigilance

Chacun sait qu’il serait périlleux d’ouvrir la porte à certains acteurs tentés de se saisir de façon incontrôlée d’une dérégulation des règles. Au moment des ordonnances de la loi ESSOC, il faudra donc s’assurer que la dérégulation prévue apporte, dans l’intérêt public, autant de garanties que celles prévues par « le permis de faire de la loi LCAP » en laissant à la manœuvre les maîtres d’ouvrage et les architectes.

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