Le Timber Seasoning Shelter à Hooke Park (Royaume-Uni, 2014) |
Dossier réalisé par Caroline MANIAQUE |
En 1976, un grand manoir, datant du XVIe siècle, est acheté par le créateur de meuble anglais John Makepeace dans le Dorset, situé au sud-ouest de l’Angleterre. Dans la grande tradition Arts & Crafts, John Makepeace fonde une école pour les artisans du bois. Son but est de favoriser la conception et la production d’un mobilier artisanal qui recourt à la production forestière locale (en réaction à l’importation du bois) tout en transmettant le savoir-faire entrepreneurial. Cette initiative revitalise une tradition anglaise fortement ancrée depuis des générations, celle des Chairbodgers, les artisans qui habitaient dans la forêt et produisaient des chaises en rondins de bois. En continuité avec cette tradition, John Makepiece acquiert le site de Hooke Park en 1983, soit 142 hectares de forêt protégée, à entretenir et à exploiter selon les principes du développement durable. Le programme pédagogique s’attache alors à conduire les étudiants à prendre soin de la forêt en utilisant les produits forestiers généralement peu exploités et peu valorisés. Trois constructions sont ainsi édifiées pour favoriser les techniques expérimentales d’utilisation des rondins de bois. Ces trois bâtiments – une maison prototype, un centre de formation et des blocs de logements pour les étudiants – illustrent la mise au point et la viabilité de la technologie innovatrice d’emploi du bois en rondins.
Les bâtiments conçus en 1983 par Frei Otto et par les architectes anglais Ahrends, Burton et Koralek, sur le site de Hooke Park, ont été réalisés à partir de rondins d’épicéa. Pour la maison centrale, les rondins ont été utilisés en tension et reliés par un système de câblage inventé par l’ingénieur Buro Happold. Pour l’atelier, par contre, une voûte a été conçue à partir de rondins en compression. Dans les deux cas, les rondins ont été laissés dans leur intégralité, tout en étant courbés, pour conserver la force naturelle du bois. Le recours à cette technologie constitue une réponse écologique à la demande d’utilisation efficace du bois de petits diamètres des forêts.
Le centre de formation des artisans du bois cesse son activité au début des années 2000 et John Makepeace confie le site à l’Architectural Association School of Architecture. Le lieu est d’abord utilisé pour une série de workshops où les étudiants dessinent et construisent de petits bâtiments. En 2010, une formation en master de dix-huit mois, intitulée Design & Make et dirigée par Martin Self, est agréée. Un permis de construire a été accordé pour la réalisation de 16 bâtiments. Chacun d’entre eux est censé être un projet réalisé dans le cadre du master Design & Make.
Une philosophie du bois
Comment donc expliquer qu’une école de pointe, avant-gardiste comme celle de l’Architectural Association, ouvre un tel programme, loin de Londres, au beau milieu de la forêt ? Il y a certes des origines que l’on pourrait faire remonter au mouvement Arts & Crafts du début du XXe siècle. William Morris avait montré la voie en installant les artisans tisserands dans le manoir de Kelmscott en 1880. C.R. Ashbee déplacera lui aussi son atelier de l’est de Londres pour s’installer non loin de la forêt High-Wycombe, lieu traditionnel de la fabrication de chaises. Ernest Gimson et ses artisans s’installeront eux-aussi aussi près de la forêt de High Wycombe pour établir une production de meubles de qualité. Les uns comme les autres étaient attachés à cette idée romantique et utopique de la nécessité de produire au plus près des matériaux disponibles.
Mais au sein du programme Design & Make, les étudiants ne sont pas strictement formés aux traditions artisanales du bois. L’approche de Martin Self, en charge du programme de master, est de profiter des nouvelles technologies de la fabrication robotique et de la numérisation en 3D pour mieux exploiter les matériaux organiques de la forêt. Il propose un catalogue des différentes caractéristiques du bois et de leur potentialité structurelle.
Les étudiants ont donc accès aux outils numériques et robotiques qui leur permettent d’explorer la structure interne du bois. L’information numérique en 3D des rondins révèle leur solidité intrinsèque. Le grand principe qui régit la philosophie du bois à Hooke Park réside donc dans la recherche de ses forces intrinsèques, en utilisant les fibres elles-mêmes au lieu d’assembler des couches collées de matériaux comme cela se fait d’habitude pour les planches et des poutres en contreplaqué. Le deuxième point de réflexion est qu’il est judicieux d’exploiter la particularité de chaque forêt et de chaque région, et de développer des produits spécifiques au lieu de centraliser la production du bois industriel.
Entre 2005 et 2009, des étudiants de l’Architectural Association ont ainsi créé des structures expérimentales en bois sous la responsabilité de Martin Self et Charles Walker. Ces deux architectes avaient eux-mêmes expérimenté à l’échelle les spécificités du bois, lors de leur collaboration avec les architectes Álvaro Siza et Edouardo Souto de Moura pour la réalisation du pavillon de la Serpentine Gallery, conçu à Londres en 2005. Chaque année, une des structures conçue à Hooke Park est montée à Londres, face à l’entrée de l’école d’architecture à Bedford Square.
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N° 250 - Décembre 2016
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