Le nouvel équipement sportif de Sharon |
Dossier réalisé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI |
Le principe fondamental de l’apprentissage expérientiel concevoir/construire est
que l’étudiant gagnera d’autant plus en compétences et en assurance qu’il aura construit lui-même ce qu’il a conçu dans l’espace abstrait du dessin. L’expérience de terrain permet d’appréhender facilement les problèmes d’échelle, de tectonique et de matériaux. Tout simplement parce que l’on n’approche pas la conception de la même façon lorsque l’on a éprouvé ce qu’implique concrètement une ligne tracée sur un papier. Si l’objectif ultime est simplement de construire, le processus concevoir/construire perd toute sa logique pédagogique. La courbe d’apprentissage est relativement modeste pour un groupe d’étudiants qui se borne à concevoir un projet et n’a que peu, voire pas de rapports avec les équipes de construction de leur projet, ou pour un groupe d’étudiants qui ne servirait que de main-d’oeuvre à bon marché pour construire (ou pire, pour finir de construire) un projet qu’ils n’ont pas conçu eux-mêmes. En ce sens, il est indispensable que les étudiants qui ont conçu et développé un projet soient également ceux qui le réalisent et y réfléchissent. Les ateliers pédagogiques du design/ buildLAB, rattaché à l’École d’architecture de l’université de Virginia Tech jusqu’en 2015 et désormais basé en France aux Grands Ateliers, visent à impliquer activement les étudiants dans toutes les étapes du processus de réalisation de leur projet architectural, depuis sa conception jusqu’à sa construction, en les confrontant à toutes les exigences du chantier. La clé de voûte de cet objectif audacieux repose sur une parfaite adéquation entre le contenu du projet et son calendrier de réalisation. Le programme d’étude du laboratoire est réparti sur deux semestres universitaires : un semestre d’automne axé sur la conception, un semestre de printemps consacré à la construction, et un stage d’été en contingence. L’objectif premier de cette démarche étant d’amener les participants à construire le projet qu’ils ont eux-mêmes conçu, la cohésion des équipes est un préalable indispensable à la réussite du projet pédagogique. C’est la raison pour laquelle, dès le premier jour, chaque étudiant s’engage solennellement envers ses collègues à rester avec son équipe jusqu’à l’achèvement du chantier. C’est cette organisation qui a guidé la réalisation de la halle du marché de producteurs de Covington. Le projet bien plus ambitieux de reconversion de la friche industrielle de Smith Creek a quant à lui été étalé sur deux années
consécutives, correspondant chacune à une phase : l’amphithéâtre, puis la passerelle
piétonne et le parc. De même, la réalisation du Sharon Fieldhouse (annexe sportive) a été aussitôt suivie de celle du Sharon Baseball Fields, sur le même site. Chaque phase était un projet autonome, conçu et réalisé de bout en bout par une équipe d’étudiants donnée. Projet global, projet local Chaque équipe a été invitée à définir par elle-même son approche de la préfabrication. En effet, le design/buildLAB a toujours compté sur la simultanéité du travail de fabrication hors chantier parallèlement à celui sur le chantier, afin de minimiser les retards dus aux intempéries et de caler le calendrier de construction sur un semestre universitaire. En règle générale, les étudiants fabriquent eux-mêmes leurs éléments de construction
complexes ou atypiques dans un
milieu contrôlé (en atelier), tout en
coordonnant sur le chantier les interventions
des artisans chargés de réaliser les
pièces plus conventionnelles ou exigeant
davantage de main-d’oeuvre. Pour la halle
marchande de Covington, une série de
fermes de charpente a ainsi été fabriquée
sur mesure sur une chaîne de montage
assistée par ordinateur. Les étudiants ont
ensuite réalisé les gabarits dans l’atelier
du campus, puis assemblé les fermes
afin de construire des modules de toit
prêts à poser. entre-temps, un fabricant
d’acier préparait les colonnes structurales
à partir des dessins fournis par les
étudiants, et un maçon coulait les fondations
et montait les murs de soubassement
conformément à leurs plans de
construction. Après quoi, tous les composants
préfabriqués ont été livrés sur le
terrain et assemblés à l’aide d’une grue en
une semaine. Au-delà de cette méthode
répondant à la logique particulière de ce
chantier, il est indispensable d’élaborer
systématiquement des approches novatrices
du phasage des travaux afin de
boucler un projet complexe en l’espace
d’une seule année universitaire.
Il est extrêmement rare que l’on attende
des étudiants en architecture – et malheureusement
des architectes eux-mêmes
– qu’ils maîtrisent le processus de
construction dans son intégralité. Le design/
buildLAB a précisément été créé en
réaction au courant académiste qui tend
de plus en plus à envelopper le processus
architectural d’un voile de mystère et, du
même coup, pousse les étudiants à sur-intellectualiser
leur travail. Dans ces conditions,
ceux-ci perdent de vue la vocation
première du métier auquel ils se destinent
– à savoir, avoir un impact tangible sur le
monde qui les entoure –, et ont du mal Ã
se motiver et à trouver un sens à ce qu’ils
font. La pédagogie expérientielle prend
le contre-pied de cette tendance en ceci
qu’elle offre aux étudiants une occasion
de déployer leur créativité pour proposer
des solutions à des problèmes concrets,
avec une incidence mesurable.
Entre autres nombreuses valeurs latentes,
l’apprentissage par immersion sur le terrain
forme une génération de futurs
architectes qui, pour en avoir fait l’expérience,
sera convaincue que l’architecture
peut avoir un impact positif considérable
sur l’environnement et la qualité de vie.
Cette éthique professionnelle sera d’autant
mieux ancrée que les étudiants auront
constaté par eux-mêmes les effets transformateurs
de l’énergie et de l’inventivité
qu’ils ont investies dans leurs projets.
Le design/buildLAB sélectionne essentiellement
les projets en fonction des bienfaits
à long terme qu’ils peuvent apporter
à une communauté. Il s’agit toujours de
projets destinés à des associations locales
ou à des entités civiques à but non lucratif,
situés sur des sites ouverts au public
et dans des communautés déshéritées. A
contrario, la sélection ne retient jamais
les demandes émanant d’entités privées
servant des intérêts particuliers, ou
d’organismes publics qui ne cherchent
qu’à minimiser leurs coûts en profitant
du travail bénévole des étudiants et des
enseignants de l’équipe d’encadrement.
Le design/buildLAB s’efforce par ailleurs
de nouer des partenariats avec des organismes
qui se sont déjà distingués par
leurs actions communautaires et leur
succès à accomplir leur mission. Les étudiants
et les organisations partenaires
travaillent alors sur un mode collaboratif,
relevant ensemble les défis de la direction
d’un projet, et partageant l’énorme
responsabilité qu’implique le service de
l’intérêt public.
Lisez la suite de cet article dans :
N° 250 - Décembre 2016
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