Peut-on innover en apprenant ? Le design/build et l’apprentissage expérientiel - Design/build : perspectives d’avenir

Rédigé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Publié le 28/11/2016

Prototypes démonstrateurs Armadillo Box et Canopéa (projet lauréat du Solar Decathlon Europe 2012)

Dossier réalisé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Dossier publié dans le d'A n°250 Seulement trois générations après les premières expériences menées par ses précurseurs, l’experiential learning, plus communément appelé « design/build Â», est en plein essor1. En octobre dernier s’est tenu à Lyon un colloque international sur l’apprentissage expérientiel en architecture, réunissant pour la première fois en France des architectes pédagogues engagés dans des initiatives pédagogiques de renommée internationale, développées simultanément aux quatre coins du monde.

Cette approche pédagogique – qui permet à de futurs architectes de faire l’expérience corporelle et psychique de ce qu’ils ont imaginé sur papier en construisant de leurs propres mains – questionne tout autant les modèles d’enseignement de l’architecture prédominants que la manière dont le métier d’architecte est actuellement pratiqué. En effet, en réaffirmant le laboratoire, l’atelier de fabrication ou le chantier comme lieux d’apprentissage à la fois pratique et intellectuel, cette méthode remet en cause la séparation physique et morale entre l’acte de concevoir et l’acte de bâtir. Cette distinction – d’abord introduite à la Renaissance pour des raisons idéologiques, réaffirmée au XVIIe siècle comme symbole de prééminence sociale, et renforcée durant le XIXe et XXe siècle dans un souci déontologique d’indépendance de jugement professionnel – se trouve aujourd’hui confrontée aux réalités d’une conjoncture marquée par une crise économique, environnementale et humanitaire3.

L’émergence mondiale d’approches revendiquant l’importance du travail manuel, tant dans les pratiques pédagogiques que dans les pratiques professionnelles, dénote non seulement d’un désir de réappropriation de l’acte de bâtir comme composant essentiel de la conception architecturale, mais aussi d’un véritable phénomène de société, cherchant les réponses dans le concret plutôt que dans l’abstraction4. Si ces réponses se distinguent de par leur nature – parfois scientifique, avec la réalisation de prototypes test ; parfois expérimentales, avec la réalisation d’installations éphémères permettant d’appréhender ou d’étudier l’espace et la matière ; et parfois culturelle, avec la réalisation de constructions pérennes pensées pour un environnement naturel et social ciblé – ce sont avant tout des expériences humaines, portant avec elles les valeurs de l’entraide, du partage et de l’ingéniosité collective5.


Des chantiers-écoles

C’est cette capacité d’innovation que la Stratégie nationale pour l’architecture entend soutenir, pour « transformer l’acte de construire de demain* Â». Les mesures telles que les chantiers-démonstrateurs, le permis de faire et la mise en place de chaires partenariales d’enseignement et de recherche dénotent d’un engagement institutionnel sans équivalent dans d’autres pays du monde. Plutôt que de considérer ces émulations comme des démarches à contre-courant et donc vouées à l’exception, la France a choisi d’en souligner l’exemplarité, et d’en faciliter le développement. Cet engagement n’est pas entièrement nouveau, puisque, depuis 2002, les Écoles d’architecture françaises sont pourvues d’un outil d’expérimentation unique au monde6 : les Grands Ateliers, où se développent depuis une quinzaine d’années des expériences de recherche scientifique et pédagogiques axées sur les cultures constructives, les sciences de la matière et la pédagogie par l’expérimentation. C’est ici qu’ont été réalisés le pavillon d’exposition TRA, les prototypes démonstrateurs Armadillo Box et Canopéa (projet Lauréat du Solar Decathlon Europe 2012), et le prototype TERRA NOSTRA présenté dans ce dossier.

Ce n’est donc pas un hasard si ce formidable équipement7 – dont le rayonnement culturel n’est plus à prouver – est aujourd’hui lieu de réflexion autour des futurs modèles d’apprentissage expérientiel en architecture. En effet, depuis un an déjà s’y fabrique un nouveau projet pédagogique visant la réalisation de chantiers-écoles de plus grande échelle, démonstrateurs d’expérimentations constructives et de processus de cocréation novateurs8. Ce LAB concevoir/construire regroupe des étudiants, enseignants et chercheurs des Écoles d’architecture de Grenoble et de Lyon autour de projets de construction durable innovants. Un premier groupe d’étudiants est actuellement engagé dans la conception et la réalisation d’un premier projet, édifice de 500 m2, dont la complexité surpasse de loin les expériences pédagogiques menées jusqu’alors. Alors que les étudiants de Grenoble travaillent au développement de techniques de construction durable en utilisant les ressources naturelles locales, leurs homologues de Lyon se concentrent sur l’expérimentation de dispositifs architecturaux visant à une utilisation minimale d’énergie dans les espaces habités. Cette expérience, encadrée par une équipe pluridisciplinaire dont nous faisons partie et développée en partenariat avec des entreprises, artisans, professionnels du bâtiment et collectivités territoriales, s’inscrit en préfiguration de la chaire Habitat du futur9 lancée par les Écoles d’architecture d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui verra le jour en septembre 2017.

Au-delà du défi qu’il représente, ce projet marque la rencontre de deux approches, deux écoles de pensée : la méthodologie d’expérimentation scientifique et technique développée par les différents laboratoires des écoles partenaires françaises avec les processus participatifs du public interest design/build américain, que nous avons expérimenté dans notre pratique professionnelle depuis notre propre expérience en tant qu’étudiants de Sambo Mockbee au Rural Studio. L’apprentissage des étudiants se trouve ainsi renforcé, leur permettant d’entreprendre des projets d’une plus grande diversité et d’une portée culturelle plus large. Nous pensons que c’est dans ce type d’alliance d’expertises complémentaires que va se dessiner et se construire le prochain chapitre de l’apprentissage expérientiel en architecture.


* Stratégie nationale pour l’architecture, ministère de la Culture et de la Communication, annonce de Fleur Pellerin à l’ENSA de Paris Belleville, octobre 2015.


Citations « Ã©cho Â» :


1

Paul Vincent : « De plus en plus d’étudiants sentent le besoin de se confronter pendant leurs études avec la réalité de l’acte de construire. Les Grands Ateliers sont une superbe usine de la transmission de l’inventivité et du savoir-bâtir : sa production s’inscrit dans un processus indispensable de démonstration mais aussi de reconnaissance des bâtisseurs par tous les publics. Â»

Paul Vincent, architecte, ancien associé de l’agence Renzo Piano Building Workshop, enseignant chercheur à l’ENSA de Lyon


2

Franck Le Bail : « La force de l’atelier, c’est la possibilité de confronter les étudiants à la matière et l’espace. Les étudiants qui expérimentent et construisent ne dessinent plus de la même façon. Derrière un trait, ils voient de la matière, la gravité, un processus de production, des femmes et des hommes qui vivent, habitent et travaillent. Â»

Franck Le Bail, architecte, enseignant chercheur à l’ENSA de Saint-Étienne, responsable de l’atelier pédagogique pensйe constructive


3

Olivier Balaÿ : « La ville postcarbone évoque essentiellement des problématiques liées а l’énergie et au climat, mais les transformations majeures qu’elle suppose – qui affectent toutes les dimensions de la ville – font qu’une telle vision ne peut être enfermée dans les approches techniques. L’apprentissage du vécu dans la construction à échelle 1 est une étape qui permettra aux étudiants d’approcher la perception ordinaire des gens. C’est viser une pédagogie de l’architecture anthropotechnique et pas seulement technique. Â»

Olivier Balaÿ, architecte, docteur en urbanisme, enseignant chercheur de l’ENSA de Lyon


4

Laetitia Fontaine et Romain Anger : « La pédagogie par le faire est un formidable outil d’implication des apprenants et de confrontation à la réalité de l’acte de construire. Elle redonne à ceux qui la vivent le sentiment de pouvoir agir sur leur environnement direct. Vivre l’expérience de la rencontre avec la matière redonne au corps et aux émotions l’importance qu’ils méritent aux côtés de l’intellect, et constitue une voie privilégiée de reconnexion au monde réel. Â»

Laetitia Fontaine et Romain Anger, architectes et ingénieurs, directeurs scientifiques et pédagogiques du projet amàco aux Grands Ateliers


5

Amilcar Dos Santos : « L’apprentissage expérientiel offre aux étudiants la découverte des matières, l’émerveillement de voir une idée prendre forme rapidement, et le partage d’une expérience commune où chacun peut trouver sa place. Â»

Amilcar Dos Santos, architecte et ingénieur, enseignant chercheur de l’ENSA de Lyon


6

Maxime Bonnevie : « La singularité de ce lieu réside dans ses dimensions, la distribution des espaces pensée en fonction du cheminement de la matière depuis sa livraison jusqu’à sa mise en Å“uvre dans un projet, les équipements et outillages pensés pour expérimenter des maquettes grandeur nature. Les équipes d’enseignants, étudiants et chercheurs présentes sur place bénéficient ainsi pleinement de la notation d’unité de temps et d’unité de lieu propice au bon développement d’un projet. Â»

Maxime Bonnevie, coordinateur de projets R&D « habitat et ville durable Â», unité de recherche AE&CC de l’ENSA de Grenoble


7

Marie Wozniak : « Les Grands Ateliers représentent un lieu unique par leur taille et leur équipement, mais aussi par leur situation au plus près d’industriels et de collectivités mobilisés autour de l’ambition d’un habitat durable. Ils sont aussi un lieu rare de collaborations inter-établissements. Â» Marie Wozniak, directrice de l’ENSA de Grenoble


8

Paul-Emmanuel Loiret : « Les futurs modèles de l’apprentissage expérientiel en architecture devront sans aucun doute intégrer l’action locale et la réflexion globale dans une logique collaborative et de bottom up. Il s’agit notamment de participer au redéploiement durable des savoirs et savoirs faire régionaux de l’acte de bâtir. Â»

Paul-Emmanuel Loiret, architecte, enseignant chercheur à l’ENSA de Grenoble, Labex AE&CC/CRAterre.


9

Pascal Rollet : « Pour l’ensemble des partenaires de la chaire Habitat du futur, l’objectif est la création d’un lieu qui permette une recherche appliquée dans le domaine de la conception, de la rénovation et de la construction de l’habitat à travers la mise en situation de pratique opérationnelle d’étudiants et de doctorants. L’objectif est de créer l’écosystème propice à la professionnalisation des étudiants qui pourront disposer, à l’issue de cette formation, du potentiel de création de nouvelles entreprises de conception et réalisation intégrées. Le projet de chaire se veut donc une plateforme de promotion des start-up de l’architecture de demain. Â»

Pascal Rollet, architecte, directeur scientifique des Grands Ateliers.




Lisez la suite de cet article dans : N° 250 - Décembre 2016

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