Peut-on innover en apprenant ? Le design/build et l’apprentissage expérientiel - Colorado Building Workshop

Rédigé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Publié le 01/12/2016

Les « Outward Bound Cabins », sont des microdortoirs (de 13 à 18 m2) construits pour les apprentis guides de montagne dans les Rocky Mountains du Colorado

Dossier réalisé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Dossier publié dans le d'A n°250 Le Colorado Building Workshop est la formation diplômante du programme design/build de l’université du Colorado à Denver. Depuis 2009, cet atelier a réalisé sept projets communautaires, parmi lesquels 21 micro-cabanes pour le camp de découverte nature de l’École Outward Bounds du Colorado, ainsi que cinq maisons pour des personnes déshéritées et deux chalets pour une réserve navajo du sud de l’Utah, en collaboration avec le collectif DesignBuildBLUFF de l’université de l’Utah. Marie et Keith Zawistowski ont interrogé le directeur du programme, Rick Sommerfeld, sur les principes pédagogiques qui sous-tendent cet atelier expérientiel.

Marie : Qu’est-ce que le Colorado Building Workshop et comment l’aventure a-t-elle commencé ?

Rick : J’envisage volontiers cet atelier comme un endroit où nous cherchons à mettre en pratique la théorie de l’architecture. Dans son organisation, c’est donc un lieu d’expérimentation et de recherche, où les étudiants sont invités à tester leurs idées dans des projets grandeur nature. Je n’aime pas vraiment l’étiquette design/build car elle rappelle par trop l’idée que l’on se fait de la profession, où un architecte et un entrepreneur scellent un contrat de partenariat financier, chacun restant dans son rôle traditionnel. La façon dont nous fonctionnons évoque davantage une équipe de réalisation travaillant sur un projet intégré, une collaboration dans laquelle les responsabilités sont partagées. Il est à mon sens important de souligner que dans notre conception du principe design/build, nous considérons que l’équipe chargée de la conception est également responsable de la construction. La richesse de cette collaboration est évidente dans le cadre universitaire, mais nous devons également faire en sorte qu’elle soit tout aussi évidente au niveau professionnel.


Marie : Quel est le calendrier et le rythme d’un projet type ?

Rick : Le calendrier évolue en permanence, car les projets deviennent de plus en plus complexes. Mais en règle générale, le programme s’étale sur deux semestres. Quant à notre rythme, je dis souvent qu’il consiste à « commencer par la fin Â» : à l’automne, un nouveau groupe d’étudiants s’installe dans le bâtiment réalisé par la promotion précédente et en fait une évaluation post-résidentielle. Cette démarche a deux objectifs : d’abord, les immerger rapidement dans le projet qu’ils s’apprêtent à entreprendre et, ensuite, avancer à partir du travail réalisé par leurs prédécesseurs – tant en termes de qualité architecturale qu’en termes de professionnalisme. L’évaluation post-résidentielle est une analyse de la performance du projet, mais elle passe également par des entretiens avec l’équipe d’étudiants, le client et les usagers. Ce rapport est remis au client, mais aussi et surtout à la promotion précédente, qui a ainsi un retour objectif sur la façon dont son projet a été perçu par le client et par l’équipe qui lui succède.

Le milieu du semestre d’automne prévoit un gros travail préliminaire : réunions avec le client, analyse du site, études de programme, recherches sur les codes de construction, etc. Forts de cette base de travail, les étudiants ont ensuite toutes les vacances d’hiver pour prendre le temps de réfléchir à la façon dont ils souhaitent aborder leur projet et de formuler les axes de recherche qui guideront leurs choix architecturaux.

Nous amorçons alors le semestre de printemps par une visite du site – une immersion très intense de trois ou quatre jours sur le chantier. Après quoi, la première partie du semestre de printemps est consacrée aux réunions avec des consultants et au travail de conception, aux présentations au client, à l’établissement des plans pour le permis de construire et, bien entendu, à la réalisation des maquettes. Puis, à l’approche des vacances de printemps, nous engageons la construction d’une première tranche du projet. C’est là que le bâtiment commence à sortir de terre. Au retour des vacances, nous passons à la construction des éléments préfabriqués dans les ateliers de l’école d’architecture. Début mai, à la fin du semestre, les étudiants et l’équipe enseignante reviennent s’installer ensemble sur le chantier pendant trois semaines pour assembler les composants préfabriqués.


Keith : Cherchez-vous à transmettre à vos étudiants un système de valeurs particulier ?

Rick : Oui, bien sûr. L’un des sujets qui revient le plus souvent dans nos conversations est la façon dont on réagit au site et au client. Dans quel environnement nous trouvons-nous ? Quels sont les caractères distinctifs de ce lieu particulier et de ce programme particulier ? Il me semble qu’en règle générale, si l’on parvient d’emblée à cerner ces questions, le travail de recherche et d’études s’articule sur un objectif commun tangible pour le client. Nous faisons cela pour empêcher les étudiants de trop se focaliser sur des idées préconçues qui n’auraient aucune pertinence, ni pour le client, ni pour le projet. C’est en quelque sorte une approche opportuniste : essayer d’identifier les éléments intéressants qui se cachent dans le contexte existant.


Marie : Avez-vous constaté qu’à un moment particulier du processus l’« expérience Â» crée un déclic qui permet à l’étudiant de mieux comprendre l’architecture ?

Rick : Les moments les plus édifiants se déroulent selon moi pendant la phase de construction de la maquette. Chaque année, il se trouve toujours des étudiants pour défendre une vision d’un détail donné auquel ils tiennent vraiment. Or, ce type de détail préalable marche rarement du premier coup. Ce qui nous donne une idée du nombre d’architectes qui n’ont jamais rien construit mais qui, depuis leur fauteuil de bureau, revendiquent sans ciller des années d’expérience et continuent à dessiner des détails qui ne marchent pas ou, tout au moins, ne s’inscrivent absolument pas dans la logique du projet. Paradoxalement, je trouve davantage de valeur pédagogique à l’échec qu’à la réussite. C’est pourquoi nous insistons beaucoup pour que la phase de maquette soit un espace ouvert à l’échec. Voir les maquettes dans un champ ou sur le campus est absolument passionnant, car ce que l’on voit, c’est ce qu’il reste lorsque les étudiants ont bien réfléchi à leurs concepts et idées et trouvé des solutions. Et une fois le bâtiment final achevé, c’est aux petits changements à peine perceptibles qui font toute la différence que l’on voit exactement ce que les étudiants ont appris.


Keith : C’est très gratifiant, ça. Ça me rappelle notre ami Scott Poole, doyen de l’université du Tennessee, à Knoxville, qui nous a un jour conseillé de nous méfier des gens qui s’empressent de vous dire qu’ils ont quinze ans d’expérience à faire ceci ou cela car, en général, ça veut plutôt dire qu’ils ont un an d’expérience 15 fois. (rires)


Marie : Comment décririez-vous votre approche pédagogique ?

Rick : Je me considère en premier lieu comme un critique, qui s’efforce d’aider les étudiants à comprendre comment leurs idées se traduisent concrètement. C’est une question fondamentale, car c’est à mon sens cette dynamique qui distingue les très bons programmes concevoir/construire des autres. Il faut trouver un juste milieu, en gardant à l’esprit que les projets doivent être ceux des étudiants, et que l’équipe enseignante doit avoir un regard critique, les aider à éviter les écueils et les erreurs. Cet équilibre consiste à laisser les étudiants apprendre de leurs erreurs tout en restant conscient qu’il y a un certain nombre de choses fondamentales, comme la clarté d’ensemble du projet, qui exigent la présence d’un bon critique.

J’envisage donc mon rôle comme celui d’un intervenant qui est là pour simplifier les choses, les clarifier, et aider les étudiants à insuffler plus de sens à leur architecture en en faisant moins. J’essaie vraiment d’insister sur un minimalisme matériel, afin qu’ils trouvent davantage de profondeur que d’ampleur dans leur expression.


Keith : À votre avis, quel est l’objectif essentiel de la formation des architectes ?

J’estime que le principe concevoir/construire est une composante importante de la pédagogie de l’architecture, une façon de mettre la théorie en pratique. Ainsi le concevoir/construire sans aucune base théorique serait un simple stage pratique, et une formation théorique qui ne serait pas confrontée à l’épreuve de la réalité du bâti n’offrirait aucune ouverture sur l’exploration pratique. Je défends donc une pédagogie bien tempérée, où les étudiants réalisent des objets concrets fondés sur l’art, la science et l’histoire.



Lisez la suite de cet article dans : N° 250 - Décembre 2016

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