Projet TerraNostra, prototype en bois et terre crue, au coeur de la ZAC Flaubert (Grenoble) |
Dossier réalisé par Dominique GAÜZIN-MULLER |
En 2016, Lyon a été « Capitale de la terre », et de nombreuses manifestations se sont fédérées autour du 12e Congrès mondial sur les architectures en terre crue et de plusieurs expositions. Dans cette région, qui rassemble une grande partie des constructions traditionnelles en pisé d’Europe, l’audience médiatique autour de cet événement offrait une excellente occasion de prouver aux décideurs et au grand public l’intérêt de la construction en terre et ses perspectives d’avenir. La Team Auvergne Rhône-Alpes, créée en 2009 pour participer à la compétition universitaire internationale Solar Decathlon Europe 2010, a su saisir cette opportunité. Cette équipe pluridisciplinaire, qui regroupe étudiants, enseignants, chercheurs et professionnels, s’est élargie à d’autres institutions pour construire un prototype d’habitat en terre et bois à l’échelle 1. L’édifice, baptisé Terra Nostra, illustre le potentiel constructif et architectural de ces matériaux, tout en préfigurant de nouvelles formes de logement répondant aux attentes et aux besoins actuels de la société. Il a profité des acquis d’autres projets expérimentés depuis dix ans par l’équipe pédagogique, et bénéficié du soutien de 20 partenaires et près de 50 mécènes : ministère de la Culture et de la Communication, Région, Ademe, Caisse des dépôts et consignations, industriels, entreprises, artisans, bureaux d’études, etc.
PÉDAGOGIE DU FAIRE
La réalisation de Terra Nostra s’inscrit dans l’atelier de projet d’un enseignement associant deux écoles : master Architecture, environnement et cultures constructives (AE&CC) de l’ENSA de Grenoble, et DEM Architecture, ambiance et cultures constructives (AA&CC) de l’ENSA de Lyon. Le but de l’équipe pédagogique est de former des professionnels capables de concevoir des espaces de vie prenant en compte les spécificités environnementales, culturelles et économiques de chaque contexte, tout en répondant aux enjeux sociaux et écologiques. La méthode appliquée est fondée sur la théorie de « l’apprentissage expérientiel » de David Kolb. Généralement mené pendant la première année de master, ce learning by doing est axé sur la découverte des potentiels techniques et esthétiques de différents matériaux : bois, acier, pierre et terre. La démarche alterne des phases de conception et des workshops intensifs, qui permettent de valider par la mise en œuvre les solutions préalablement imaginées… et de rectifier les choix si cela s’avère nécessaire !
Terra Nostra a offert un support idéal à cette pédagogie du faire, en plaçant les étudiants au cœur du processus d’un vrai projet. Elle leur a aussi fourni l’occasion de vérifier à l’échelle 1 leurs intentions constructives et architecturales, ce qui est très rare au cours d’une formation universitaire. Confrontés à la complexité inhérente à la conception d’un bâtiment et au travail collaboratif avec des étudiants en DSA Architecture de terre de l’ENSAG et des élèves de l’IUT1 de l’université de Grenoble spécialisés dans le génie électrique, les futurs architectes sont devenus acteurs d’une passionnante aventure technique et humaine. Maxime Bonnevie, coordinateur de ce projet, qu’il a porté à bout de bras malgré les nombreux aléas, confirme : « Ces démonstrateurs sont de formidables supports de formation pour des jeunes venant d’écoles et de cursus parfois très différents. Ils permettent de fédérer autour d’un même objet des universitaires et des professionnels sur des sujets de recherche partagés. La motivation et l’investissement de l’équipe d’étudiants ont été extraordinaires. Mais il est évident que rien n’aurait été possible sans la culture du projet partagé initiée à l’ENSAG dès la première année par Patrice Doat (voir p. 78) et relayée ensuite par Pascal Rollet et tant d’autres. »
UN PROTOTYPE DÉMONSTRATIF
En France, l’offre de logements est insuffisante, et surtout mal adaptée aux besoins et aux ressources financières de très nombreux ménages. Pour participer à l’instauration d’une société plus équitable et plus solidaire, l’habitat du futur doit être confortable, énergétiquement efficace et « léger pour la planète », mais aussi économiquement viable. Pour promouvoir ainsi la transition écologique, les auteurs de Terra Nostra veulent « faire le plus avec le moins ». Leur objectif est de créer une architecture sensible et efficace, basée sur l’utilisation des ressources locales. Leur ambition est aussi de contribuer à la culture architecturale internationale en formant des professionnels dotés d’une éthique et d’une réelle compétence pour la création de systèmes constructifs innovants. Leur démarche s’inspire des techniques traditionnelles et les combine avec des technologies de pointe afin de produire des logements abordables.

Pour réduire les coûts sans compromis sur la qualité, l’équipe mise sur une organisation qui réduit la durée du chantier et qui tire parti d’outils de production complémentaires : industrialisation, préfabrication et autofinition par les futurs habitants. La construction est décomposée en trois parties. Le cœur (core) est un bloc central préfabriqué en une seule pièce, qui contient tous les équipements techniques complexes. L’enveloppe extérieure (skin) est préfabriquée en atelier par des entreprises ou artisans locaux, à partir de systèmes simples et de matériaux de la région. Quant au « bouclier » high-tech (shell), il supporte les panneaux photovoltaïques et les protections solaires latérales, assemblés rapidement sur le site.
Au printemps 2016, le prototype de 320 mètres carrés, dont 140 de terrasses aménagées, a été construit une première fois en trois mois aux Grands Ateliers de L’Isle-d’Abeau, plateforme pédagogique offrant l’unité de temps et de lieu nécessaire au bon déroulement d’une telle expérience. Les murs à ossature bois sont remplis d’une isolation en paille ou de briques de terre et chanvre, préfabriquées sur place. L’intérieur propose une ambiance à la fois brute et raffinée avec un parement en panneaux de terre et fibres développés par amà co et une paroi en pisé de 22 centimètres d’épaisseur. La finition en enduit terre a été partiellement réalisée par des locataires d’Actis, Office public de l’habitat de Grenoble. Les composants ont ensuite été démontés et réassemblés en deux semaines dans le quartier de Lyon-Confluence, face à l’Hôtel de région, ce qui a favorisé une large sensibilisation du grand public et des professionnels : de juin à octobre 2016, Terra Nostra a été visitée par 3000 personnes !
LIVING LAB
Lauréate de l’appel à projets « Pour une architecture de la transformation », lancé par la Caisse des dépôts et l’Union sociale de l’habitat, l’équipe de Terra Nostra participe au Lab cdc. Fin octobre 2016, le prototype a quitté Lyon après une semaine de démontage pour être reconstruit en dix jours au cœur de la ZAC Flaubert, dans le centre-ville de Grenoble, à côté du lieu associatif La Bifurk. Il s’inscrit désormais dans le Urban building Lab créé par l’unité de recherche AE&CC et ses partenaires, notamment la municipalité, Actis, la société publique d’aménagement Sages et des associations d’habitants. Lieu d’expérimentation hybride entre atelier de construction et laboratoire d’idées nouvelles, ce Living Lab doit favoriser la mise en place d’un processus innovant de fabrique de la ville, dans lequel les futurs usagers seront impliqués dès la phase de conception. Imaginé pour évoluer dans le temps, le prototype se veut support de formations à l’autoconstruction et à l’autofinition, ainsi qu’à de nouvelles expérimentations. Sa structure offre pour cela une grande flexibilité : seuls certains espaces sont totalement terminés, ce qui laisse une certaine liberté pour des ateliers ouverts au public. Pierre Payrard, directeur du développement et du patrimoine d’Actis, est enthousiaste : « Cette expérience a permis d’élaborer une solution réinterprétant avec modernité l’utilisation de la terre crue pour des logements collectifs en milieu urbain. Nous avons impliqué certains habitants très en amont pour favoriser l’appropriation du matériau par les locataires, dans l’optique d’une prochaine opération d’habitat en terre à Grenoble. » Au-delà de son intérêt pédagogique, Terra Nostra permet donc de sensibiliser de nombreux citoyens aux enjeux de la transition énergétique, de l’habitat écoresponsable et de la ville durable.
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N° 250 - Décembre 2016
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