Peut-on innover en apprenant ? Le design/build et l’apprentissage expérientiel - Brian MacKay-Lyons : la Résistance

Rédigé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Publié le 02/12/2016

Pour Brian MacKay-Lyons, construire un Ghost – un fantôme –, c’est rendre manifeste l’esprit du lieu

Dossier réalisé par Marie et Keith ZAWISTOWSKI
Dossier publié dans le d'A n°250 À l’heure où l’on donne de plus en plus de valeur à l’identité de marque internationale, l’architecture se trouve progressivement reléguée à la production d’images marchandes : des édifices hautement emblématiques, totalement coupés de l’identité unique de la culture et du lieu dans lequel ils sont implantés. Les produits manufacturés ont supplanté les produits locaux, les manœuvres non qualifiés ont pris le pas sur les artisans expérimentés et les « starchitectes » entourés d’armées de techniciens remplacent peu à peu les maîtres-bâtisseurs régionaux qui formaient patiemment leurs apprentis. « Les grands cabinets rachètent les petites et moyennes agences, et les architectes deviennent du capital humain mobile », constate non sans amertume Brian Mackay-Lyons. Certains se sont adaptés à ce changement, y voyant un progrès inévitable, et ils y trouvent leur compte ; d’autres s’y rallient comme acteurs désinvoltes qui se contentent de tenir leur rôle, tandis que d’autres encore subissent cette situation qui les désespère. Mais une poignée s’est clairement démarquée de cette tendance : ceux-là défendent dans leur pratique des positions critiques, cultivant des lieux qu’ils comprennent et mettant en valeur des cultures qu’ils connaissent. Le critique d’architecture Peter Buchanan a donné un nom à ce groupe, auquel appartiennent Brian MacKay-Lyons, Rick Joy, Francis Kere, Glenn Murcutt et bien d’autres : c’est « la Résistance ».

Démystifier et transmettre

En 1980, Brian Mackay-Lyons quitte ses terres ancestrales de Nouvelle-Écosse pour poursuivre ses études auprès de Charles Moore à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) et au Laboratoire international d’architecture et d’urbanisme (ILAUD) de Giancarlo De Carlo, fréquenté par les anciens membres du groupe Team X. Fort de ces expériences formatrices qui l’ont sensibilisé au modernisme régional et à la conception participative, il retourne en Nouvelle-Écosse, où il ouvre son propre cabinet d’« architecte de village » à Upper Kingsburg, et enseigne à l’université Dalhousie de Halifax. Dans sa pratique du métier, Brian s’emploie en premier lieu à nourrir (et non à consommer) sa culture ; dans son enseignement, il s’emploie à transmettre un savoir-faire (plutôt qu’à sur-intellectualiser). Les écoles d’architecture sont à son sens « de moins en moins crédibles », compliquant comme à plaisir « les rares choses qu’elles peuvent présenter clairement, tandis que les pratiques professionnelles se trivialisent », négligeant leurs responsabilités à l’égard de la tradition et de la culture. Brian a donné corps à ce double engagement professionnel et pédagogique privilégiant la démystification et la transmission des connaissances, en lançant en 1994 le Laboratoire architectural Ghost sur sa ferme familiale d’Upper Kingsburg.

Il a organisé la première édition du Ghost Lab, un atelier estival de design et construction sur quinze jours, en réponse à « la rupture pernicieuse entre la formation académique et la pratique, la tête et la main, le vernaculaire et la viabilité environnementale ». Son programme d’enseignement s’articule sur trois axes fondamentaux : l’esprit du lieu (place), le savoir-faire traditionnel (craft) et la notion de la communauté (community). Selon Robert McCarter, Ghost est « en partie une expérience d’immersion dans la culture matérielle locale, en partie un cours de charpenterie-menuiserie, et en partie une façon de démontrer que la théorie est tributaire de la pratique ». En 2012, en décernant son prix d’honneur au Laboratoire Ghost, le jury de l’American Institute of Architects (AIA) a déclaré : « Ce projet apparaît comme bien autre chose qu’un simple ensemble de bâtiments : c’est une expérience physique de pédagogie, doublée d’une démarche volontaire visant à préserver la beauté sereine du paysage. Le principe pédagogique consiste à immerger les étudiants dans un environnement qui les incite à concevoir des bâtiments d’excellente qualité qu’ils puissent construire par eux-mêmes. Ce projet est beaucoup plus que la somme de ses parties : c’est une merveilleuse convergence entre matériaux, détails, paysage et apprentissage. »

L’expérience Ghost s’est refermée en 2011 sur une conférence internationale intitulée « Les Idées dans les Choses ». Cette « dernière édition de Ghost a pris la forme d’une réunion historique de trois jours au cours de laquelle 25 invités et intervenants se sont exprimés sur les valeurs partagées et leur “résistance” à la mondialisation de l’architecture ».

Dans son livre à paraître, Economy as Ethic: The Work of Mackay-Lyons Sweetapple Architects, McCarter explique : « Un chiasme conceptuel sépare notre époque du temps où, au lieu d’aller à l’université, Wright avait commencé sa carrière comme apprenti au cabinet Adler et Sullivan, faisant ses armes sur le terrain, à travers ce que l’on pourrait appeler “la tradition de la pratique” : une expérience totalement intégrée reliant tous les principes de la pratique déontologique de l’architecture – les aspects économiques, fonctionnels, écologiques, constructifs, structuraux, matériaux, esthétiques, sensoriels, sociaux et culturels qui, ensemble, influencent notre expérience de l’habitat. » La philosophie qui sous-tend le travail du Ghost Lab veut que « séparer l’architecture en champs d’expertise distincts – ce qui est actuellement la norme dans la formation comme dans la pratique – est aussi nuisible à l’intégrité de la discipline que séparer la pensée de la construction, la forme de la structure, l’espace de l’usage, et les proportions des matériaux ».

Bien que le Ghost Lab ait interrompu ses activités, les légendes et les ouvrages construits qu’il nous a laissés ont jeté les bases d’un bastion international de la Résistance : un cri de ralliement pour de nouvelles recrues et un inestimable manuel de campagne pour l’enseignement et la pratique.


Lisez la suite de cet article dans : N° 250 - Décembre 2016

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