La cage aux ours à Bruxelles par MSA |
Dossier réalisé par Richard SCOFFIER
La très intéressante exposition « entrer: » présentée jusqu’au 12 janvier 2016 au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et les derniers feux de la saison Mons Capitale européenne de la culture nous donne l’occasion de revenir sur l’architecture contemporaine en Belgique francophone, six ans après notre dossier paru sur le même thème dans le numéro 183 de juin 2009.
|
S’il existe une culture architecturale spécifique à la
Belgique francophone, elle est moins centrée sur la notion de création ou d’oeuvre
que sur la notion de service. Ainsi, de nombreux jeunes architectes
passent par l’école de la micro-intervention pour faire leurs
premières armes en tant que maîtres d’oeuvre. Une extension demandée par
un voisin, un garage réclamé par un cousin ou la maison des parents
d’un copain d’école dessinent les limites d’un service civique non
institutionnel qui permet d’accéder à la commande et d’avoir la
possibilité de concevoir des projets plus ambitieux. Ces pratiques –
qui peuvent s’insérer dans l’équivalent belge du stage HMONP – déterminent
aussi l’existence d’une activité professionnelle qui ne se résume pas à la réponse
à un programme et à un site, mais reste fondée sur la parole, le dialogue
et la négociation. Une activité à la lisière de la psychologie, de la
pédagogique et du poker, qui vise à instruire et à accompagner les clients
dans une expérience parfois éprouvante mais toujours importante. Cette
culture prend aussi ses racines dans le milieu militant et associatif
qui structure très fortement la vie politique en Belgique. Le paysage
professionnel qui en découle est ainsi constitué, en marge des grosses
structures, de petites agences capables de se regrouper ou de
s’associer occasionnellement pour répondre à des commandes plus conséquentes.
Les architectes Gauthier Coton, Xavier Lelion & Anne-Sophie Nottebaert
en sont un bon exemple : ils conservent chacun une activité indépendante et
font équipe pour les projets plus importants. Quant
au collectif L’Escaut, il a mis au point une formule inédite. Il
fonctionne comme une coopérative dont la quinzaine d’associés se
réunit chaque semaine pour discuter collégialement des travaux en
cours, tandis qu’un conseil d’administration, élu pour un an, fixe les
objectifs de l’agence à plus long terme. Une organisation qui a une
incidence forte sur la conception, comme ils le promettent sur la
page d’accueil de leur site web : « Pas de style, ni de méthode type, nous
développons des moyens particuliers pour apporter une réponse située
et poétique à chaque projet. »
VILLES DE LA PUISSANCE
La ville de Bruxelles est plus complexe que celle
de Paris, elle se présente comme une agglomération de communes dirigées
par des bourgmestres là où notre capitale n’est divisée que par des
arrondissements dépendant étroitement de la mairie de la capitale :
éternel antagonisme des villes de la puissance et des villes du pouvoir.
Ces communes possèdent leurs quartiers aisés et leurs quartiers
populaires, leurs équipements et peuvent mener des politiques édilitaires complètement
différentes. Les gardecorps dissemblables qui protègent les rives du
canal séparant Bruxelles de Molenbeek, à proximité immédiate du
centre-ville, peuvent apparaître comme le symbole de cette hétérogénéité… Quant
à Mons, elle semble plus schizophrénique. Sous l’impulsion de son maire et
ancien Premier ministre, Elio Di Rupo, elle mène une politique ambitieuse.
Ce dont témoignent la gare ferroviaire confiée à Santiago Calatrava –
qui a déjà réalisé la gare de Liège – et le Palais des congrès de Daniel
Libeskind. La première, un chantier pharaonique, accumule les retards et
les dépassements de budget. Le second, qui n’est pourtant pas sans
intérêt, reste cruellement sans enjeux architecturaux, philosophiques ou
urbains. Déjà démodé à peine achevé, il se contente de répéter la manière du
maître d’il y a quinze ans en s’habillant de bois pour se mettre au goût
du jour. Cette signature en trois dimensions, aujourd’hui échouée
ironiquement en bordure d’une esplanade où se tiennent des fêtes
foraines, peut ainsi se mesurer avec d’autres manèges beaucoup plus
sophistiqués et contemporains. Plus pertinentes et plus subtiles
restent les autres actions engagées pour la candidature de Mons au
titre de Capitale culturelle européenne. Des actions modèles portées par
des projets aux budgets très resserrés et sachant investir des
infrastructures existantes. Les organisateurs ont ainsi opté pour de
nombreuses réhabilitations permettant la création d’un véritable tissu
culturel. Une stratégie en cohérence avec la programmation des
manifestations festives pariant sur la multiplicité de petits événements assurant
un rythme continu et très soutenu. Ainsi, c’est la chapelle
désaffectée des Ursulines qui accueille l’artothèque. Un véritable
collage surréaliste qui met en scène les planchers accueillant les
collections des musées de la ville à travers les baies en ogive de la
nef, tout en exprimant implacablement notre société de l’archive. Le
Mons Memorial Museum vient réactiver l’ancienne halle en déshérence de la Machine
à eau. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser imaginer,
l’intervention architecturale reste résolument non monumentale. Et
elle sait s’interroger avec ses moyens propres sur la retransmission spontanée
de l’histoire. Quant à l’Arsonic, il vient occuper l’ancienne caserne des pompiers.
Cet équipement d’un nouveau type tente d’apporter une réponse à la
révolution de l’écoute et aux attentes d’un public avide d’éprouver à
nouveau la relation fondamentale de la musique à l’espace. Enfin, les
logements réalisés sur le site de l’ancienne caserne Léopold se présentent comme
une opération exemplaire permettant à l’espace public d’être à la hauteur
des nouveaux rituels culturels urbains incubés par cette année
festive.
HISTOIRES BELGES
La plupart des constructions présentées dans ce
dossier comme dans l’exposition du Centre Wallonie-Bruxelles sont aussi intéressantes
par le récit de leur réalisation : de véritables odyssées scandées de
remises en cause, de rencontres fortuites et de hasards heureux. Ainsi
la commande pour le parc des Quatre-Vents à Bruxelles concernait à
l’origine une construction passive pour abriter un minuscule local
associatif qui devait prendre place dans un jardin public très étriqué.
Les architectes de Baukunst ont d’emblée réinterrogé et reformulé la demande
en proposant d’agrandir le jardin et de glisser le petit programme social dans
des espaces non utilisés de l’école communale contiguë. En construisant en échange
un préau permettant aux écoliers à l’étroit dans leur cour de récréation
de profiter du jardin… Pour la place Verboeckhoven à Bruxelles, dénommée
la Cage aux ours à cause de son centre évidé permettant de voir passer les trains
en contrebas, le contrat de quartier ne prévoyait qu’un aménagement
paysager. L’agence MSA a préféré voir le problème autrement.
Constatant qu’une partie de l’espace public, isolé des flux de
circulation, avait été indûment colonisée par une fraction de la
population, ils ont proposé de le transformer en lieu de passage. Une
passerelle à gradins posée sur le vide central permet ainsi à la
place balkanisée de recouvrir son statut d’espace partagé. À Dison, une des communes les plus pauvres de Belgique, c’est
encore une autre histoire. Plutôt d’ailleurs une pièce de théâtre
mettant en scène quatre personnages : un promoteur immobilier désireux de
créer un centre commercial à la périphérie de la ville en faisant table
rase de l’usine à lait en déshérence. Un directeur de l’urbanisme qui
lui refuse le permis de construire et deux architectes qui lui conseillent
de conserver cette construction mémorielle et de la réhabiliter… La
véritable histoire de l’artothèque de Mons commence une fois le projet
gagné par les agences L’Escaut et Gigogne. Pour rentrer dans les
prix, ils avaient conservé à contrecoeur les planchers en béton construits
à la va-vite dans la chapelle des Ursulines par le propriétaire précédent.
La bonne surprise est venue cette fois de l’entreprise, pour laquelle
il valait mieux les déposer et insérer dans la nef une structure métallique… Faisons
un pas maintenant dans les Ardennes flamandes. Un homme sonne à la
porte d’une maison et demande la permission de la visiter. Il en ressort
satisfait et demande au propriétaire qui l’a si obligeamment accueilli
les noms et les coordonnées des architectes qui l’ont construit. Guillaume
Becker et Kobe Van Praet de l’agence Vers.A seront contactés peu de temps
après pour concevoir un très intéressant programme expérimental de
pavillon de jardin pour ce passionné d’architecture… Quant à
l’histoire des Matador et de leur ensemble de logements sur le site de
l’ancienne caserne de Mons, elle est plus triste et illustre le côté
sombre de cet espace politique traversé de puissances et de forces contradictoires.
Ils n’ont pas affronté de taureau, mais le tout-puissant fonctionnaire délégué
régional de la commune qui trouvait la brique utilisée trop sombre et a décidé,
sans même les consulter, de faire repeindre en blanc une partie des murs
de leurs bâtiments. Que de belles histoires pour meubler nos nuits
d’insomnies d’architectes français, pour qui tout commence et se termine
par un contrat, le reste ne concernant que les juges et les avocats…
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |