Untitled (Red Door), 2007 |
Séduisantes et inquiétantes, cliniques et critiques : les images de Lynne Cohen (1944-2014) troublent. Elles exposent des intérieurs vides de personnes, sinon d’objets, de lieux tantôt de travail, tantôt publics, plus rarement domestiques. Le Pavillon populaire de Montpellier consacre à l’artiste canadienne une exposition rétrospective et déploie une œuvre très constante, de 1970 à 2012, des petits tirages noir et blanc des premières années aux grands formats couleur des dernières.
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À première vue, ce pourrait être des photographies d’architecture. Descriptives, rendant compte d’un espace, intérieur. Documentaires, énonçant une destination apparente avec les choses qui le peuplent. Énigmatiques quand même, car elles ne disent rien d’intime. Elles butent sur leur mutité, s’obstinent à montrer sans dire : pareille photographie n’est pas bavarde : elle n’est pas non plus emphatique ; elle objective. Elle est très travaillée. Point de vue, cadrage, profondeur de champ, redressement : ce sont des photographies de chambres à la chambre photographique.
Autre chose, pourtant. La lumière. Elle est partout, éclaire tout. Difficile de savoir d’où elle vient. Pas seulement de fenêtres – s’il s’en voit dans l’image. La lumière aussi est très travaillée. Donc, ces images ne sont pas seulement des vues. Elles relèvent d’un dispositif et s’apparentent à des installations. Mais ici encore, quelque chose résiste, ou se dérobe. L’image encore une fois ne dit qu’elle-même, ne raconte pas ce dont une installation relèverait : d’une intention qui se dévoilerait par son déploiement, et qu’il faudrait décrypter. Non, non : cette réalité, elle seule, rien qu’elle, plus vraie que vraie, et pourtant fausse, ou au moins faussée.
Et puis la couleur. Intense. Puissante. À plat, presque. Elle renvoie évidemment à la peinture. Plutôt à une époque de la peinture, quand la peinture pouvait se réduire à la seule couleur : Rothko, par exemple. Abstraite à force d’être. Capable d’une sur-présence, comme sont sur-présents les intérieurs de Lynne Cohen, eux aussi intensifiés par la qualité de l’image. Cette époque a aussi une origine et un lieu. Nous sommes dans les années 1970, le regard formé par les images publicitaires, glacées, irréelles à force d’être surréelles. Images marchandes, à l’Ouest, images de propagande, à l’Est.
Ce monde-là est un monde trop parfait, un monde qui n’existe pas, parce qu’il existe trop. Un monde qui exclut la vie, l’imprévu, et toute forme de désir autre que celle qui le rapporte et le réduit aux choses, désignées. Un monde trop soigné, trop arrangé, trop fabriqué. Un monde astreignant, un monde aliénant. Faux, bien que vrai. Et voici que surgit, en sourdine, hors champ, un discours : celui de la critique de la société du spectacle marchand, tenu à cette même époque par quelques penseurs eux aussi extra-lucides.
Un monde trop parfait
Mais voici bien la force et la singularité des images photographiques de cette nature. Elles ne disent rien, se refusent même à suggérer. Tout discours à leur propos serait plaqué. Il faut ouvrir les yeux, regarder, et regarder encore, pour voir et comprendre que ce monde apparemment rapporté comme il est par ces images fabriquées pour être plus intensément vraies n’est pas le monde destiné à accueillir la vie comme elle vient mais un monde qui veut la façonner à sa nature réifiée. Il lui dicte sa loi, comme il a dicté la fabrique des images.
Car ces images sont des représentations. Des représentations nourries d’autres représentations, comme elles sont instruites d’histoire de l’art. Des représentations critiques, par ce qu’elles insistent sur ce que l’on a sous les yeux et auquel on ne prête pas attention. Des représentations d’autant plus fortes, d’autant plus pertinentes qu’elles ne tiennent d’autre discours que celui que leur donne leur forme – et c’est en cela qu’elles relèvent de l’art. Des représentations qui réfléchissent leur forme et leur pratique, lesquelles à leur tour leur donnent forme et pratique.
Patrick Tosani notait ainsi que l’espace représenté dans les photographies de Lynne Cohen est l’espace photographique lui-même. « Ces lieux, écrivait-il, sont comme une métaphore de la constitution de la chambre optique. » Ils sont encore une métonymie de la société qui les secrète : incongrue, assurément, inquiétante, décidément.
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