Loger le pauvre, l’immigré, le demandeur d’asile - II. Au-delà des normes ? - À Berlin, la Maison des Statistiques devient un projet social et artistique

Rédigé par Laureline GUILPAIN
Publié le 11/02/2017

« La Maison des Statistiques : le hub social de l’Alexanderplatz ». Déploiement programmatique autour de l’accueil de réfugiés, la culture, la formation et l’échange.

Dossier réalisé par Laureline GUILPAIN
Dossier publié dans le d'A n°251

Quelles solutions alternatives pour l’hébergement des réfugiés dans les centres urbains ? Au cœur de Berlin, le projet Initiative Haus der Statistik propose de réhabiliter un ancien complexe de bâtiments administratifs voués à la démolition. Pour créer des logements sociaux dédiés pour réfugiés, mais aussi un centre d’art, des ateliers et logements pour artistes… Un projet d’habiter comme un manifeste face à la « crise des migrants » et du logement, dont la pertinence des propositions mérite que l’on réfléchisse à sa transposition en France.

Située en front arrière de l’Alexanderplatz, centre névralgique de Berlin, la Maison des Statistiques regroupe un ensemble de six bâtiments de bureaux construits au début des années 1970. Utilisés par l’administration centrale de la RDA jusqu’à la réunification de l’Allemagne en 1989, puis par la commission générale chargée de traiter des dossiers de la Stasi, les bâtiments, propriété du Land de Berlin, sont abandonnés depuis 2008.

À la suite d’un atelier public de réévaluation du plan directeur de l’Alexanderplatz, initié par le Sénat berlinois en 2015, un groupe d’acteurs, mené par l’association AbBa (Allianz bedrohter Berliner Atelierhäuser) militant pour la construction de logements-ateliers pour artistes à Berlin, et dans lequel figure l’agence d’architecture Raumlabor, fait une proposition de réactivation de la Maison des Statistiques par un projet social et artistique. Les bâtiments existants sont en effet voués à la démolition pour être remplacés par un complexe immobilier de bureaux, hôtel et commerces, dans le projet de la place mené par le bureau d’Hans Kollhoff depuis 1993, qui développe une forte densification bâtie de l’espace urbain par la construction d’immeubles de grande hauteur.

 

Un « centre pour les réfugiés, pour l’action sociale, l’art et la créativité »

La proposition se veut manifeste : réinvestir et réhabiliter quatre des six bâtiments existants pour faire cohabiter du logement social dédié pour réfugiés, mais aussi pour artistes, seniors ou étudiants, avec des ateliers, des bureaux pour associations, travailleurs sociaux et chercheurs, des espaces de production et d’éducation collective ainsi qu’un centre d’art et de démocratie locale, ouvert sur la place et sur le quartier.

Au sein de ses 40 000 m2 de surface habitable, l’Initiative Haus der Statistik développe une vision d’une société intégrative, coopérative et créative. Elle se pose, au nom du bien commun, comme alternative à la démolition d’un ensemble de bâtiments caractéristiques de l’architecture socialiste appartenant à l’identité urbaine du nord de la place. Elle se pose aussi à contre-courant de la programmation commerciale et tertiaire monopolisant l’Alexanderplatz, marqueurs de la gentrification galopante du centre berlinois où les loyers augmentent exponentiellement (+ 40 % entre 2008 et 2015).

Une manière de réintégrer au centre de la ville des populations fragilisées, que leurs statuts ou leurs activités hors normes (réfugiés venus du Moyen-Orient, personnes âgées, artistes, travailleurs sociaux…) précarisent face à une pression immobilière croissante. Pour rappel, en 2015 l’Allemagne a accueilli 1 million de migrants et accordé 148 215 demandes d’asiles, tandis que la France n’en a attribué que 26 000.

 

Lier les réfugiés au quartier

S’il est revendicatif, le projet pour la Maison des Statistiques ne cherche pas à dresser les modèles les uns contre les autres, ou une bulle d’utopie idéaliste contre la grande méchante politique urbaine néolibérale. Son ambition est d’essayer, par une programmation mixte, et par de légères transformations de l’espace architectural et urbain de l’ensemble, de décliner différentes échelles d’interfaces entre les résidents et avec le quartier.

À l’échelle urbaine, les espaces d’interaction entre l’espace public et le bâtiment, ses nouveaux occupants, les activités et les habitants du quartier sont multipliés : les rez-de-chaussée sur l’avenue Otto-Braun sont ouverts et dédiés aux activités culturelles et artistiques, à la démocratie locale et aux projets communs des résidents, l’arrière du bâtiment est rendu au public pour en faire un jardin, les perméabilités entre l’arrière et l’avant du bâtiment renforcées et les toitures deviennent accessibles.

À l’intérieur des bâtiments, chaque entité programmatique (logement, travail, activités communes) est organisée selon un principe d’espaces fermés pour activités privées (logements, ateliers, bureaux pour les associations…) donnant sur des espaces ouverts d’usages communs (cuisines, salons, pièces d’eau, espace de restauration, espaces de réunion, coworking…). La trame structurelle répétitive des bâtiments permet de cloisonner ou de décloisonner des espaces plus ou moins spacieux, donnant lieu au développement de typologies de logements ou d’espaces de travail multiples (individuels, familiaux ou colocations étudiantes ou seniors), avec une recherche de diversité sur chaque niveau des bâtiments. À terme, 650 à 1 000 habitants pourront cohabiter dans la Maison des Statistiques dans les 18 000 m2 dédiés au logement, avec des loyers aidés coûtant entre 4 et 9 euros/m2 – les prix actuels du quartier Mitte étant autour de 15,50 euros/m2 pour la location privée et de 6 euros/m2 pour la location sociale à Berlin. Deux cent cinquante ateliers d’artistes seront également disponibles dans le projet.

Aussi, ne s’arrêtant pas à la seule problématique du logement des réfugiés, l’initiative Haus dédit une partie des surfaces disponibles pour des espaces de projets communs éducatifs et culturels pour les résidents, principalement autour de l’apprentissage de la langue allemande, de la cuisine, du repas, du sport et du jardinage.

 

La réhabilitation comme alternative

Si les bâtiments ne répondent plus aux standards actuels de bureaux, justifiant notamment leur abandon par l’administration, une rénovation effectuée dans les années 1990 de remise aux normes de sécurité et l’évaluation récente de la fiabilité de la structure en béton armé permettent d’envisager une remise en usage à court terme – estimée dans le meilleur des cas à l’été 2017, le temps de finaliser le modèle économique, d’identifier l’ensemble des partenaires et d’effectuer les travaux de transformation nécessaire. La proposition de Raumlabor est de livrer un aménagement à minimum, fondée sur un inventaire fin de l’existant, pour minimiser le coût de travaux estimé à 50 millions d’euros, moindre par rapport à une démolition-reconstruction et laisser les résidents finaliser eux-mêmes.

Le projet s’accompagne également d’une proposition de densification de la parcelle par la construction de deux immeubles de logements, sur les emprises de deux bâtiments de plain-pied non réutilisables. Une réintégration a minima du projet immobilier imaginé et dessiné pour la parcelle en 2010, mais qui depuis n’a toujours pas été lancé.

 

Sortir d’une pratique insulaire d’accueil des réfugiés

Si le projet en tant que proposition de l’atelier a été validé par le Sénat en juin 2016 et reçoit depuis un fort soutien civil et politique (il est lauréat du prix Berlin Award-Heimat in der Fremde récompensant des projets innovants dans l’accueil des réfugiés), notamment de la part du nouveau gouvernement fédéral de Berlin élu en septembre 2016, la discussion est toujours en cours avec le ministère des Finances pour valider le modèle économique du projet et faire racheter le bâtiment par le gestionnaire immobilier public BImA.

Les initiateurs sont cependant déjà actifs : ils ont lancé une académie, plateforme d’échanges de pratiques artistiques et projets éducatifs, et mènent un projet-pilote, nommé ZusammenKUNFT (la rencontre), dans un ancien hôtel de la Potsdamer Platz transformé en hébergements sociaux pour famille de réfugiés et Berlinois, en installant dans les deux derniers niveaux de l’hôtel des structures locales de travail social et des collectifs d’artistes qui mènent avec les résidents des projets de construction de leur environnement.

L’initiative Haus der Statistik porte une proposition intégrative à plusieurs échelles : des surfaces vides dans l’activité, des réfugiés dans la société, de l’art et du social dans la ville. Un projet qui se place à contrechamp de la pratique établie de l’accueil des réfugiés, qui, en créant des hébergements monoprogrammatiques, monopublics et souvent en marge de la ville, crée de l’exclusion plus souvent qu’elle n’inclut.

 

 

fiche technique projet

[ Initiateur : Allianz bedrohter Berliner Atelierhäuser – AbBA

Fondateurs : Zentrum für Kunst und Urbanistik – ZK/U, Atelierbauftragter Berlin, BBK Kulturwerk, Initiative Stadt Neudenken, Raumlabor Berlin, Martinswerk e.V., Belius Stiftung, Stiftung Zukunft Berlin, Schlesische 27, CUCULA e.V., Gyalpa e.V., Open Berlin e.V., Die Zusammenarbeiter

Lieu : Berlin

Surface : 40 000 m2

Coût (estimatif) : 50 millions d’euros TTC ]

 

modélisation programmatique – variante 1

 

réhabilitation :

 

(bleu) 12 % Art et production

Espaces de travail pour artistes

10 670 m²

 

(jaune) 8 % Culture et lieux de rencontre

Salles communes – salles de réunion / conférences

7 460 m²

 

(vert) 16 % Logement inclusif

Berlinois, réfugiés, étudiants, seniors…

15 740 m²

 

(rose) 9 % Éducation

Enseignement, formation et projets d’insertion

8 305 m²

 

neuf :

 

(rouge sombre) 31 % Programme public

29 135 m²

 

(rouge) 24 % Logement social d’État

Nouveaux bâtiments / logements subventionnés

22 775 m²

Initiative Haus der Statistik

Association ABbA, Raumlabor Berlin architecte

 

légende de l’illustration ISO – 234

note : traduction / si manque de place, les surfaces peuvent être enlevées

 

modélisation programmatique – variante 1

 

réhabilitation :

 

(bleu) 12 % Art et production

Espaces de travail pour artistes

10 670 m²

 

(jaune) 8 % Culture et lieux de rencontre

Salles communes – salles de réunion / conférences

7 460 m²

 

(vert) 16 % Logement inclusif

Berlinois, réfugiés, étudiants, seniors…

15 740 m²

 

(rose) 9 % Éducation

Enseignement, formation et projets d’insertion

305 m²

 

neuf :

(rouge sombre) 31 % Programme public

29 135 m²

 

(rouge) 24 % Logement social d’état

Nouveaux bâtiments / logements subventionnés

22 775 m²


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

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