Proposition de Philippe Chiambaretta |
Quand
le branding et le merchandising tiennent lieu de réflexion urbaine, que
proposer de mieux aux millions de touristes qui se rendent chaque année Ã
Versailles par la gare Château Rive-Gauche qu’un troisième Trianon,
décontextualisé et posé comme une affiche 3D au milieu de la ville ? Un
signal composé d’une fabrique et d’un fragment de parc qui les rassurera en
leur faisant comprendre qu’ils ne se sont pas trompés de train et qu’ils sont
bien arrivés à destination… |
Qui n’avait pas remarqué, il y a encore quelques années, le désarroi des étrangers, à la sortie de la station terminus Versailles Rive-Gauche ? Ils s’imaginaient arriver directement au château et se retrouvaient face à une gare de bus et à la terrasse d’un McDo, sur l’avenue Charles-de-Gaulle, la grande transversale de service à la circulation intense, reliant le sud au nord de la ville en coupant à vif la patte d’oie dessinée par Le Nôtre. Perplexes, ils regardaient dans toutes les directions en écarquillant les yeux et en dépliant leurs plans. Puis ils partaient à droite en suivant la signalétique pour rejoindre l’avenue de Paris et l’office de tourisme de la Ville où ils pouvaient acheter leurs billets, grâce à un accord passé entre l’établissement public du château et la municipalité. Un parcours en zigzag où, déboussolés, certains d’entre eux entraient même dans la mairie – une médiocre construction de style Louis XIII édifiée au XIXe siècle – croyant avoir atteint leur graal.
Mais Google Maps est arrivé et tout a été bouleversé… Plus besoin de carte, de plan ni de signalétique : les Américains comme les Japonais et les Chinois savent désormais en ouvrant leurs portables qu’il leur suffit de prendre à gauche l’avenue de Sceaux pour se rendre directement à la billetterie du château. La Ville, inquiète à l’idée de perdre cette manne financière – pas moins de 1,6 million d’euros par an – a d’abord implanté en 2019 un kiosque d’information/vente sur la place Thiers. Mais cet élément de mobilier urbain, trop étroit, s’est rapidement révélé totalement inefficace, ce qui a conduit les édiles à revoir leur copie et à employer les grands moyens. Notamment, de déplacer la gare de bus dont l’emprise occupe la presque totalité de la place vers Versailles-Chantiers, pour lancer une consultation en vue de la réalisation d’un nouvel office mieux adapté à la nouvelle situation.
Pour
capter les flux à la source et leur laisser nulle échappatoire, la nouvelle
construction – esquissée par Nicolas Gilsoul – comprendra un jardin
fermé et un pavillon. Elle s’étalera sur une soixantaine de mètres face à la
gare mais ne pourra pas dépasser un plafond de 4,60 mètres, correspondant
à la hauteur des soubassements voisins, pour ne pas trop heurter la population
de la ville, à la fois conservatrice et résolument hostile au moindre changement.
Une
esquisse qui correspond pratiquement par ses dimensions comme par son programme
au Pavillon de Barcelone de Mies. Les concepteurs se sont donc emparés de cette
icône pour concevoir de petits manifestes architecturaux. Très chic, le lauréat,
Philippe Chiambaretta, propose un cocktail de modernité et de classicisme, en secouant
dans son shaker la structure à caissons de la Nouvelle Galerie nationale de Mies
avec les colonnades de la tribune Zeppelinfeld réalisées par Albert Speer à Nuremberg.
De même Bernard Desmoulin conjugue une structure miesienne avec une coupole aplatie
et dorée, négligemment posée dessus, pour concevoir un objet d’orfèvrerie dont
il a le secret. Carl Fredrik Svenstedt, qui n’a sans doute pas assez médité sur
les raisons de la disgrâce du Bernin avec Louis XIV et Colbert, dessine une
ellipse baroque. Quant à Antoine Dufour, plus radical et militant, il invite
les touristes, avec chemises hawaïennes, lunettes noires et chapeaux de paille,
à une plongée rousseauiste dans la préhistoire pour mieux leur expliquer les
bienfaits d’une architecture fondée sur l’emploi des matériaux locaux et
l’économie circulaire…
VERSION CLASSICO-MODERNE
Philippe
Chiambaretta, PCA-Stream (lauréat)
Sûrement
le plus clair, ce projet n’hésite pas à outrepasser d’emblée la côte imposée
pour donner à lire non sa toiture mais sa sous-face : de lourds caissons de
bois qui s’élancent sans entraves à la rencontre des visiteurs qui sortent de
la gare par une vaste traversée piétonne unifiée. Cette construction, seulement
portée sur trois côtés par de hautes colonnes carrées constituées de blocs de
pierre brute, s’offre comme un immeuble en coupe. Elle réinitialise les
architectures de la peinture primitive italienne, qui savaient se découper pour
mieux rendre lisible les scènes d’action qu’elles abritaient. Et elle s’avance ainsi
en formant un large baldaquin pour accueillir dignement les visiteurs qui
descendent des trains.
Le rez-de-chaussée,
très ouvert sur la ville grâce à sa double hauteur longeant l’avenue Charles-de-Gaulle,
s’organise autour d’un noyau de desserte qui donne accès aux locaux techniques enfouis
en sous-sol et aux bureaux qui s’élèvent en mezzanine sous le plafond. Quant au
jardin, il reprend l’esquisse de Nicolas Gilsoul, un bosquet contemporain qui s’adapte
parfaitement au péristyle viril et abstrait qu’offre au sud le pavillon.
VERSION TENTE TARTARE
Bernard
Desmoulin
Bernard
Desmoulin paraît très à l’aise dans ce travail sur la petite échelle – où
il excelle – et dans cette ville où il a déjà aménagé le Grand Commun du château.
Il semble s’amuser en jouant sur un très grand registre de correspondances. Ainsi
la structure d’acier noir de base carrée s’annonce-t-elle d’emblée miesienne,
bien que ses longues poutres de rive se plissent légèrement sur trois côtés
pour esquisser une étoile. Elle forme un socle sur lequel vient négligemment flotter
une coupole plate en cuivre poli qui accorde d’emblée à l’ensemble le statut
d’un objet précieux comme une certaine monumentalité. Tandis que les extrémités
de la façade d’entrée sont bizarrement recouvertes de faux rideaux – en
pierre ou en Corian – semblant agités par les vents, un clin d’œil aux
tentes tartares en métal peint qui font partie du répertoire des folies des
parcs du XVIIIe siècle.
Au sud
le jardin très classique enserré par deux longs bosquets taillés met en
perspective le pavillon tout en se composant comme un hortus conclusus,
un havre de paix à l’abri des flux.
Quant
à l’intérieur, il se divise en deux parties égales. La première, face à la
gare, accueille le public. Elle met très sculpturalement en scène la lumière zénithale
qui tombe de l’oculus central de la coupole. Tandis qu’à l’arrière un couloir,
qui longe de mur séparatif, permet de desservir fonctionnellement les espaces
techniques et les bureaux.
VERSION BAROQUE
Carl
Fredrik Svenstedt
Fuyant
les rectangles et les carrés, Carl Fredrik Svenstedt, virtuose des courbes
complexes générées par ordinateur, propose un plan très dynamique. Il reprend l’emprise
elliptique de l’église Saint-André du Quirinal construite par Le Bernin à Rome,
tout en lui permettant de fuir en la plaçant sur une diagonale. Pour accentuer ce
mouvement, la toiture vient couper le volume en oblique en montant vers le sud et
les colonnes de pierre de base rectangulaire qui la soutiennent se resserrent
en partie basse pour mieux s’écarter et s’élancer en partie haute afin de
composer un vaste portique d’entrée. Le jardin n’est pas fermé, comme dans les
autres propositions, mais se compose de haies qui coulissent transversalement
pour mieux diriger les flux de public vers l’avenue de Sceaux. Elles permettent
comme autant d’éléments de décors d’amplifier depuis le sud la perspective sur
la façade noble du pavillon.
Un
dispositif qui réveille le fantôme du kiosque à musique qui hante encore les
lieux. Actif pendant plus d’un siècle, il formait une rotule efficace,
permettant l’articulation de la gare à l’avenue de Sceaux.
L’organisation
interne peut rappeler la division cellulaire. Au sud, le public est accueilli
dans une grande salle arrondie dont le plafond convexe en cuivre se recouvre de
feuilles gravées qui ne sont pas sans rappeler le travail de Giuseppe Penone.
Tandis qu’au nord les bureaux s’organisent autour d’une salle de réunion vitrée
et ovale. Mais faire entrer les locaux techniques dans cette figure n’est pas
de tout repos, en témoignent les deux angles aigus du local ménage, résolument
innettoyables : de quoi condamner l’architecte à écouter en boucle le
discours de François Ruffin sur les femmes de ménage, prononcé le 8 mars
2018 à la tribune de l’Assemblée nationale.
VERSION NÉOLITIQUE
Antoine
Dufour Architectes
Plus radicale, l’agence Antoine
Dufour occupe la totalité de l’emprise qu’elle clôt d’une enceinte pour mieux
développer un manifeste en faveur de la pérennité et de la sobriété, les
circuits courts et la filière sèche. Ainsi, à peine sorti de la gare, le
visiteur est-il confronté à un mur : un des éléments fondamentaux de
l’architecture. Une succession de monolithes évoquant les alignements
néolithiques de Carnac laisse d’abord percevoir les masses végétales qui
enserrent le jardin, au travers de leurs larges interstices. Ces blocs se
resserrent ensuite après la séquence d’entrée pour former une paroi scandée en
partie haute par les platines rectangulaires. Des éléments qui permettent de tendre
les câbles des poutres de pierre précontraintes soutenant une toiture composée
de dalles très fines, imperméabilisées par une chape de plomb. Un plaidoyer
pour des matériaux locaux – la pierre simplement extraite d’une carrière
très proche – ou recyclés : le plomb issu de la fonte à basse
température d’éléments récupérés.
En plan les deux épaisses
parois parallèles à la gare accueillent des haies enserrant un espace engazonné
avant de s’élargir pour absorber les locaux techniques et pour protéger, comme
dans une grotte, l’accueil du public, les vestiaires et les bureaux. Le
programme vient ainsi presque naturellement s’immiscer entre ces deux limites en
allant du plus ouvert au plus fermé. Tandis que la grande entrée judicieusement
placée permet l’accès direct à tous les services proposés.
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