Bruther / Vue du projet, Apsys |
Le constructeur, le recycleur et le curateur : comme dans un film de Sergio Leone, ces trois pistoleros doivent s’associer s’ils veulent prospérer à Paris. Rendons-nous dans le far west parisien, du côté des grands espaces inconnus qui s’étendent derrière la Fondation Cartier… |
L’avenue Denfert-Rochereau borde, avant d’arriver sur la place, un très vaste îlot de plus de 200 mètres de profondeur ou s’alignent de vastes hétérotopies. Au 68, le très secret monastère de la Visitation, toujours en activité, et au 70, l’ancien hospice Saint-Vincent-de-Paul. Ce dernier, d’abord transformé en hôpital, puis abandonné, s’est métamorphosé en quelques années sous l’action militante d’associations comme Yes We Camp et Aurore en laboratoire iconique de la ville cosmopolite et créative de demain. « Les Grands Voisins » se sont en effet développés depuis 2015 sur cette emprise composée de plusieurs entités distinctes.
La ville a d’abord permis l’incubation de cette utopie concrète rassemblant un grand nombre d’activités hétéroclites – habitations d’urgence et accueil des réfugiés ; start-up et espaces de coworking ; restaurants et commerces alternatifs ; salles d’exposition et de concert… – et s’engage maintenant de manière exemplaire à en pérenniser le développement. Plusieurs concours ont été lancés en cascade pour réhabiliter les pavillons existants. Ainsi Lacaton & Vassal vont-ils rehausser de plusieurs niveaux le lot Lelong, et ChartierDalix creuser la cour du lot Pinard pour y inséminer des équipements sportifs. Tandis que Bourbouze & Graindorge associés à Sergison Bates et Kuehn Malvezzi réaliseront de nouveaux logements sur les lots Chaufferie et Petit. Un casting en parfaite cohérence avec la nouvelle destination du lieu.
La consultation concernant la façade urbaine de l’opération a été lancée en dernier, en mars 2019. Les trois équipes retenues devaient réhabiliter deux bâtiments historiques et en construire un nouveau. Cette dernière construction marquera un signal sur l’avenue et le départ de l’axe privilégié d’entrée dans l’ancien hôpital rénové, défini par l’agence Anyoli Beltrando, l’urbaniste en charge de la coordination.
La procédure de cette consultation était complexe comme le sont désormais les appels à projets parisiens. Les équipes pluridisciplinaires devaient répondre à de multiples questionnements : proposer un bâtiment emblématique et parvenir à faire entrer du logement social et intermédiaire dans deux bâtiments historiques sans toucher à leurs façades classées. Proposer des constructions biosourcées et trouver des dispositifs permettant de recycler les eaux pluviales afin de ne plus les rejeter dans le réseau. Penser aux nouveaux modes de déplacement en créant une centrale de mobilité. Enfin présenter un projet culturel fort et démontrer sa capacité à s’autofinancer en s’entourant d’opérateurs aptes à le mener à maturité.
Maîtres d’ouvrage, architectes, paysagistes, opérateurs culturels ont défini un projet et un programme en contact permanent avec les services de mairie de Paris avant d’être départagés à l’issue d’un dernier oral.
POROSITÉ AUGMENTÉE
Promoteurs : Cogedim / Histoire & Patrimoine (lauréats)
Porteur de projet CINASPIC : Thanks for Nothing
Architectes : 51N4E / Tham & Videgård / Atelier Monchecourt
Paysagiste : Grue
L’équipe réunie autour 51N4E, qui assurait la coordination globale, s’est plus intéressée aux vides qu’aux pleins et a d’abord défini un système de cinq cours connectées organiquement à l’avenue pour irriguer efficacement la parcelle dans toute sa profondeur. Ce dispositif relie aussi dans l’autre sens les différentes entités hétérogènes qui se succèdent afin de les solidariser. Une proposition « augmentée » par le projet culturel qui ne s’est pas concentré sur le nouveau bâtiment, mais qui s’est diffusé sur l’ensemble du site, montant même dans les étages. Il associe résidences d’artiste, ateliers, workshops, fab labs et espaces d’exposition pour promettre une nouvelle Fondation Cartier à la fois alternative et pop, moins chic, mais plus choc que celle du boulevard Raspail. Ce projet culturel est porté par Thanks for Nothing : une association philanthropique de femmes venues de l’art contemporain qui cherche à développer, dans ses nombreuses interventions, une politique d’intégration basée sur l’accès à la culture.
Mais revenons sur ces cinq cours, qui donnent chacune une vision différente des Grands Voisins. À l’extrémité nord, la « cour cachée » dessert l’ancienne pouponnière – la salle voûtée de l’ancien hospice où étaient placés les bébés abandonnés par leurs mères – désormais dédiée aux concerts et aux séminaires. Puis la cour de l’oratoire, dont la végétation actuelle sera renforcée afin de pondérer les façades monumentales et un peu pesantes de l’édifice classé. Suit la cour Robin, plus minérale et desservant les vastes entrées polyvalentes menant aux étages d’habitations. Enfin l’accès principal et la « traverse culturelle », un espace d’exposition éclairé par un vaste plafond pyramidal, passant à travers le nouveau bâtiment. Ce dernier, une construction en gradins un peu lourde, voudrait renvoyer l’image d’une tour de Babel rassemblant les populations du monde autour d’un projet fédérateur. Mais il ressemble plutôt à une version bobo-écolo du mausolée de granit de Lénine sur la place Rouge à Moscou. Une prestation un peu décevante de la part de l’agence suédoise Tham & Videgård qui nous avait habitué à des constructions plus convaincantes. Ce projet massif parvient à intégrer l’ancien mur d’enceinte et répond à la lettre aux prescriptions de l’architecte des Bâtiments de France qui souhaitait ardemment le conserver.
TRANSPARENCE ET LÉGÈRETÉ
Promoteur : Apsys
Porteur de projet CINASPIC : Scintillo
Architectes : Bruther / Ciguë / Neufville-Gayet
Paysagiste : Rémi Algis
Un projet très différent du précédent. D’abord par son programme culturel, qui tourne autour de la parole et de l’écriture. Une sortie bienvenue des arts visuels qui aurait permis un lien fort avec les populations hébergées, en grande partie immigrées, en favorisant la reconnaissance de leur culture orale et leur intégration. Des ateliers d’écriture leur auraient permis de s’exprimer et de pénétrer dans les arcanes de la langue française tout en les aidant à accomplir leurs démarches administratives. Un projet qui garde cependant l’ambition d’introduire à une réflexion partagée sur la langue et ses transformations, à l’heure des grands mouvements de populations, des SMS et des tweets. Comme si ce lieu, bordélique et déjanté, pouvait se présenter comme le pendant de la coupole de l’Institut où les académiciens s’endorment sur leur dictionnaire.
Quant au projet de bâtiment neuf, dessiné par l’agence Bruther, il est beaucoup plus léger et transparent que celui de l’équipe lauréate. Il se dégage du mur mitoyen pour se donner comme une place construite, renvoyant à la Maison du Peuple de Jean Prouvé à Clichy. Le rez-de-chaussée se déploie comme espace seulement couvert, offert à toutes formes d’événements : festival, foire du livre… Par son ample rampe vélo – les voitures prenant l’ascenseur –, il entretient une relation privilégiée avec le sous-sol dédié à la centrale de mobilité mais adaptable, grâce à sa grande hauteur sous plafond, à d’autres activités plus en phase avec l’évolution du lieu. La structure en bois, très fine, est traversée par de larges escaliers hélicoïdaux desservant des plateaux conçus pour abriter indifféremment une grande librairie, des espaces de coworking et un auditorium. Les derniers étages sont occupés par des logements très profonds, tandis que l’ensemble des façades s’anime de grands stores rétractables pouvant se déployer comme autant de drapeaux.
Pour le reste, on remarquera la galerie en bois qui habille la façade du bâtiment Robin sur l’entrée principale, assurant une transition claire avec la construction nouvelle. Et le travail très subtil de recyclage de l’agence Ciguë.
GÉNÉRIQUE ET VERTUEUX
Promoteur : Bati Paris
Porteurs de projet CINASPIC : Ebansn / Aurore
Architectes : Studio Dorell / Dream / Lagneau Architectes
Paysagiste : Topager
Ici encore le programme culturel frappe par son originalité. L’École des beaux-arts de Nantes et l’Atelier de Sèvres ont été contactés pour définir un hub artistique d’un genre nouveau fondé sur l’apprentissage et l’enseignement. Une plateforme constituée notamment par la rencontre d’une école d’art privée et d’ateliers pédagogiques publics permettant de rassembler des populations très différentes autour d’un projet commun. Une animation culturelle qui s’immisce en rez-de-chaussée dans l’ensemble de l’opération.
Le parti général reste assez proche de celui des lauréats : réactiver les cours existantes et en créer une nouvelle. Ainsi la cour Robin et celle de l’Oratoire réutilisent les pavés des anciennes rues de Paris religieusement stockés par la Mairie et le nouveau bâtiment s’ouvre en U sur l’entrée principale pour définir un haut espace d’accueil couvert d’une pergola. Des piles en pierre suivent l’alignement de l’ancien mur d’enceinte et soutiennent une lourde ossature en bois çà et là occultée par des remplissages de brique : un procédé qui renvoie aux maisons à colombages du Moyen Âge. L’isolation à base de coton recyclé vient compléter ces matériaux ressourcés tandis que les parquets déposés des bâtiments réhabilités viennent habiller les nouveaux planchers. Une construction vertueuse et générique : ce qui, dans ce contexte, peut aussi être considéré comme une qualité.
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