Chantier |
Dossier réalisé par Matthieu FUCHS L’architecte Matthieu Fuchs, spécialiste des
matériaux à faible énergie grise, a déjà réalisé au sein de l’agence nancéenne
Mil Lieux plusieurs bâtiments avec des murs en terre : pisé pour la maison
de santé de Badonviller et l’IUT de Tarbes ; terre coulée pour la maison
des associations de Manom et l’école de Saint-Antonin-Noble-Val. Il partage
avec nous son expérience et sa vision de l’avenir de cette technique
prometteuse. |
D’a : Terre coulée, béton d’argile,
béton de terre… qu’est-ce qui se cache derrière ces différents termes ?
Tous expriment
la même volonté : proposer un nouveau procédé de mise en œuvre de la terre
crue au côté des techniques traditionnelles. L’objectif est de simplifier la
technicité pour trouver un système constructif adapté à un nombre plus
important d’entreprises. En effet, le pisé, très apprécié pour ses qualités
esthétiques, nécessite de la part des artisans un savoir-faire important, et
cette haute qualification est difficilement compatible avec les contraintes
actuelles de budget et de calendrier.
Derrière les questions sémantiques se cachent des pièges pouvant prêter à confusion. Ce qui est important, ce n’est pas le terme, mais la philosophie qui est derrière. Nous cherchons à proposer un produit proche du béton, mais avec un impact écologique réduit. Cela s’inscrit dans un questionnement plus global sur les notions de circuit court, de matériaux locaux et de réduction de l’énergie grise. L’utilisation du terme « béton d’argile » ou « béton de terre » laisse supposer que le simple remplacement d’un béton de ciment gris par un béton ocre avec un peu de terre solutionnerait la plupart des problèmes. Ce n’est pas le cas. Croire qu’à travers cette technique, on va pouvoir continuer à « bétonner » nos villes comme avant est une erreur. Je préfère donc utiliser le terme de « terre coulée ». Par ailleurs, comme l’explique très justement Romain Anger, directeur scientifique d’amà co, certains industriels à travers le monde se rachètent aujourd’hui une virginité en proposant des produits qu’ils appellent « bétons de terre », mais dont la formulation prouve qu’ils sont loin d’être vertueux.
D’a : Quels sont les enjeux
autour de la terre coulée ?
Avant de
répondre à cette question, il est important de rappeler certains chiffres. À l’échelle
mondiale, 7 % des émissions de gaz carbonique proviennent des cimenteries.
Environ 40 % de ces émissions sont liés à l’énergie consommée pour la
production (la température du four atteint 1 500 °C), mais 60 %
sont des « émissions de procédé » irréductibles : lorsque le
calcaire (CaCO3) est chauffé, il libère des atomes de carbone (CaCO)
et produit du CO2. Par ailleurs, le volume des sables et graviers dans
le béton est d’environ 60 %. Considéré pendant longtemps comme illimité, le sable est aujourd’hui en
deuxième position dans les ressources les plus utilisées à l’échelle
planétaire, après l’eau. Sous la pression démographique et le besoin en
construction neuve, la Chine a utilisé en cinq ans autant de sable que les
États-Unis en un siècle.
Ensuite,
lorsqu’on parle d’impact global, il ne faut pas oublier la déconstruction et le
recyclage des matériaux en fin de vie. Le béton, en particulier s’il est armé,
est très difficile à traiter, notamment à cause des armatures métalliques. Le principal enjeu
autour de la terre coulée est donc de produire une matière permettant de
réduire à la fois la part de ciment et la quantité de sable, tout en proposant
un matériau qui redevient un tas de terre en fin de vie du bâtiment. Les recherches sur la terre coulée se
concentrent sur ces trois axes de développement.
D’a : Pourquoi couler
la terre plutôt que la piser ?
Parmi les méthodes
de construction en terre crue, le pisé est la technique reine. Il véhicule une
histoire, un savoir-faire, voire le génie de l’artisan. Mais la durée de
réalisation est longue, il est coûteux (500 à 900 euros/m2 de
mur) et dépendant de la météo quand il est réalisé sur site, car il craint le
gel. Piser un mur nécessite aussi une main-d’œuvre qualifiée avec une formation
spécifique.
Si le pisé est
la technique reine, la terre coulée est la technique démocratique. Elle permet
d’utiliser tous les outils et procédés employés aujourd’hui par les entreprises
de gros Å“uvre traditionnelles : banches, camion-toupie, malaxeur et
aiguilles vibrantes. Seule la composition du mélange coulé change. Pour des
entreprises de taille moyenne soucieuses de développer un nouveau marché, c’est
une formidable ouverture vers des techniques de construction vertueuses. Le
temps de mise en œuvre est similaire à celui du béton armé et le prix n’est pas
beaucoup plus élevé : 200 à 300 euros/m2 contre 120 à 150.
Cependant, même si la qualification nécessaire en phase chantier est limitée,
la terre coulée demande une connaissance spécifique en phase d’étude, en
particulier pour caractériser la terre et réaliser la formulation. Le sourcing pour trouver la matière est une
autre étape primordiale. Si
on souhaite utiliser une terre de site ou locale, Il faut prévoir 10 000 Ã
15 000 euros pour le travail de formulation et un mur d’essai.
D’a : La terre coulée
va-t-elle se substituer à terme au béton de ciment ?
Penser la
terre coulée comme un substitut universel au béton est à mon avis une erreur
fondamentale. En revanche, c’est la technique de terre crue la mieux à même de
réduire l’hégémonie du béton. Il ne faut pas penser la terre coulée comme un
produit standardisé, mais comme la valorisation d’une ressource locale. C’est
un vecteur de développement d’un territoire avec ses artisans, ses PME, ses
gisements et ses centrales à béton existantes, qui peuvent préparer le mélange terre/sables/graviers/eau. On peut établir un parallèle avec la
valorisation du bois local, qui dynamise toute une région. La structuration d’une
filière de terre coulée locale peut servir à terme d’autres techniques comme le
pisé, les BTC ou les enduits. Nous sommes encore trop dépendants des transports.
Pour réduire l’impact carbone des bâtiments, limiter l’énergie grise des
matériaux est essentiel. Et bien souvent, il suffit de se baisser pour trouver
la ressource.
D’a : Toutes les
terres sont-elles adaptées au coulage ?
Les
terres sont composées, en proportions variées, de cailloux, graviers, sables et
particules fines appelées silts et argiles. L’idéal serait
d’utiliser la terre des excavations du site, mais il faut souvent la
retravailler pour adapter la formulation. Le mélange disponible n’étant pas
toujours optimal, il peut nécessiter une reformulation de la base, par exemple avec
un ajout de sables ou de graviers. Caractériser la terre dès la phase études
est donc essentiel. C’est une mission spécifique. La question est celle de la
limite : quand est-il justifié de modifier complètement une terre d’excavation
si celle-ci ne convient pas ? N’est-il pas préférable d’étendre la
recherche pour trouver un autre gisement plus adapté à la technique de
construction retenue ?
Nous avons
déjà testé deux pistes en considérant un autre aspect de l’écoresponsabilité :
la valorisation des déchets. Dans le cadre du chantier de la maison des
associations de Manom, nous avons utilisé un déchet de carrière non valorisé :
des fines argileuses. Elles ont été incorporées au mélange sables/graviers/eau,
à la sortie des camions-toupies. La deuxième solution est d’employer des terres
d’excavation de chantier, autoroutier par exemple, ce que nous avons fait pour
un bâtiment en pisé à l’IUT de Tarbes. On estime aujourd’hui que ces déblais
sont trois fois plus importants que les déchets de démolition, et leur mise en
décharge est très onéreuse. Il existe un véritable gisement qu’il faudrait
exploiter, comme les terres des chantiers du Grand Paris.
D’a : Dans quelles
conditions la terre coulée est-elle un choix pertinent ?
L’emploi du
béton sera toujours nécessaire pour des ouvrages très spécifiques ou
nécessitant une forte résistance à la compression : fondations spéciales,
etc. En revanche, il ne faut pas hésiter à employer la terre coulée sous forme
de voile intérieur, par exemple pour des murs de refend entre logements. Grâce
à l’inertie, le positionnement en cœur de bâtiment apporte un net confort
hygrothermique. Il ne faut cependant pas oublier que la résistance à la
compression d’un mur en terre coulée (3 à 5 MPa) est environ dix fois
inférieure à celle d’un mur en béton armé (30 MPa), ce qui le rapproche d’un
mur en parpaing ou en pierre de taille. Pour compenser cette résistance plus
faible, les parois sont généralement plus épaisses.
La maxime
« la juste quantité du bon matériau au bon endroit » n’a jamais été
aussi pertinente qu’en cette période de crise écologique. La terre coulée n’est
pas un substitut au béton, mais une technique qui doit accompagner une nouvelle
manière de concevoir l’architecture. Le but est de valoriser le béton dans les
ouvrages où il est indispensable, et de donner sa place à la terre coulée au
côté d’autres matériaux vertueux comme le bois ou la pierre.
D’a : Quels sont les
domaines d’application ?
Aujourd’hui,
90 % des exemples utilisant de la terre coulée la mettent en œuvre sous
forme de voiles, porteurs ou non. Martin Pointet, de BETerre, l’utilise aussi
sous forme de dalles non porteuses. Dans un bâtiment à Lausanne, il a réalisé
une dalle de 10 cm d’épaisseur, armée par une toile de coco noyée dans la
masse, avec une chape de mise à niveau de 4 cm et un enduit de finition
terre-plâtre. Dans un chalet savoyard, il a incorporé à la dalle une nappe de
chauffage de sol. Une solution de plancher bois-terre remplaçant la
traditionnelle chape de compression en béton par de la terre coulée pourrait
aussi s’avérer intéressante.
D’a : Comment
se déroule le chantier ?
La terre est
acheminée sur site dans des camions-toupies et coulée entre des banches de
coffrages classiques. Puis les bulles d’air sont chassées à l’aide d’une
aiguille vibrante, comme pour un béton ordinaire. On laisse ensuite sécher le
mur au minimum deux à trois jours avant de décoffrer. Pour que le liant
hydraulique fasse prise, il convient de mettre l’ouvrage « sous
cure » à l’aide de bâches polyane. Quelques précautions doivent être
respectées. Bien qu’elle soit moins sensible au gel que le pisé, il est
déconseillé de mettre en œuvre la terre coulée entre novembre et mars : la
température nécessaire pour respecter les règles de l’art est de 5 °C. Par
ailleurs, l’eau est l’ennemie de la terre, comme du bois. Il est donc impératif
de poser les voiles sur des rehausses en béton ou en terre coulée chargée à la
chaux. Il faut aussi protéger les murs tout au long du chantier, notamment
contre le ruissellement, tout en laissant la matière respirer pour éviter le
développement de champignons de surface.
D’a : Toutes
les entreprises de béton peuvent-elles faire de la terre coulée ?
À condition qu’elles
soient motivées pour se former et changer leurs habitudes, il n’y a aucune
raison pour qu’une entreprise de gros œuvre ayant l’habitude du béton de ciment
ne puisse pas mettre en œuvre de la terre coulée. La difficulté, à mon avis, ne
se situe pas dans les entreprises mais plutôt dans les centrales à béton. C’est
là que se trouve le véritable enjeu, car il faut les convaincre de s’engager
dans une nouvelle démarche et d’inscrire une nouvelle formule dans leur process
industriel. C’est comme pour les scieries autour de la question du bois local,
quand elles doivent apprendre à travailler une nouvelle essence, par exemple le
hêtre, alors que pendant des années elles n’ont scié que du résineux.
D’a : La
stabilisation de la terre coulée avec du ciment est-elle indispensable ?
Le ciment n’est
pas ajouté à la terre coulée pour améliorer sa résistance mécanique, mais pour
lui permettre de se « tenir » après décoffrage. Sans lui, la prise ne
se ferait pas, et il faudrait attendre plusieurs semaines pour que le mélange
sèche. La part de ciment varie aujourd’hui de 3 à 5 %, soit environ trois
fois moins que dans le béton classique, pour une densité quasiment équivalente.
Sur le plan strictement comptable, et par rapport aux objectifs énoncés plus
haut, c’est déjà très satisfaisant. Il est possible de couler de la terre sans
ciment, mais il convient alors de mettre en place une cage d’armatures. Des
expérimentations sont menées actuellement pour la médiathèque
Jean-Quarré à Paris sur des voiles en terre coulée fibrée, sans ciment ni autre additif,
avec des armatures en ganivelles. Sur une proposition de Martin Pointet, les murs seront préfabriqués en
atelier, et coulés puis séchés à l’horizontale pour permettre le décoffrage.
D’a : La
préfabrication est-elle une option intéressante ?
Elle ouvre de
nouvelles perspectives de développement en permettant, entre autres, de s’affranchir
des contraintes météorologiques. Comme pour le pisé ou le bois, elle offre une
meilleure maîtrise des détails, des coûts et de la synthèse entre corps d’état,
ainsi qu’une amélioration des conditions de travail des artisans.
D’a : Sera-t-il
bientôt possible de couler la terre sans ciment et sans armatures ?
Des recherches sont actuellement menées par l’équipe
de Guillaume Habert à l’École polytechnique de Zurich (ETH), ainsi que par les
acteurs historiques : amà co, CRAterre-ENSAG et INSA Lyon. Certains
utilisent des dispersants chimiques (de type plastifiant pour
ciment) afin d’obtenir au moment du coulage une terre liquide avec un faible
volume d’eau, en empêchant la coagulation des particules d’argile. Un de ces adjuvants minéraux est
le silicate associé à l’oxyde de magnésium, qui a la propriété de précipiter le
dispersant quelques heures plus tard, accélérant la consolidation de l’argile.
D’autres chercheurs travaillent sur des additifs organiques, comme les tanins
ou les alginates. L’enjeu est de trouver le bon couple dispersant-solidifiant.
D’a : Quelles
sont les finitions et textures que l’on peut obtenir ?
Comparée à un
mur en pisé, dont la matérialité est forte, une terre coulée est lisse après
décoffrage et ne présente pas de lecture en couches successives. En revanche,
le concepteur peut apporter sa touche personnelle en proposant un travail sur
les banches et en apportant une matrice de finition, comme pour le béton de
ciment. On peut également sabler le mur après décoffrage, afin d’obtenir une
finition plus rugueuse et brute, ou le travailler comme une sculpture.
D’a : Quels
sont aujourd’hui les freins à l’essor de la terre coulée ?
Comme pour
toutes les techniques innovantes, le premier frein à l’essor de la terre coulée
est l’absence de règles professionnelles et d’avis techniques, qui crée une frilosité
de la part des organismes de contrôle et des assureurs. Mais la situation
évolue sous l’impulsion de différents essais de chantier et d’ATex. Des
réticences sont aussi sensibles chez certains acteurs traditionnels de la
filière terre, qui considèrent la terre coulée comme une forme de
compromission. Cette attitude me semble dangereuse, car ils laissent ainsi le
marché aux majors du BTP, qui n’hésiteront pas à déposer un brevet et Ã
proposer une formulation toute faite. Le matériau perdrait alors ses qualités
locales et frugales.
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