Immortaliser les atmosphères des agences : Entretien avec Marc Goodwin, photographe d’architecture

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 04/05/2020

Lieu de travail de Ricardo Bofill Taller de Arquitectura, Sant Just Desvern (Espagne)

Dossier réalisé par Maryse QUINTON
Dossier publié dans le d'A n°280

Né à Londres, Marc Goodwin est photographe d’architecture, auteur et enseignant. En 2016, il a initié le projet Architectural Atmospheres, qui le mène aux quatre coins du monde pour photographier les ateliers des architectes les plus prestigieux mais aussi plus confidentiels. Il revient sur son parcours et son travail où il privilégie la notion d’« atmosphères Â» aux conventions de la photographie d’architecture actuelle.

D’a : Quels sont vos premiers souvenirs d’architecture ?

Parmi mes premiers souvenirs architecturaux figure la cathédrale Saint-Alban de St Albans dans le Hertfordshire, au nord de Londres. Ma mère s’y est mariée (la première fois !) et, parce que c’était un lieu particulièrement important pour elle, nous l’avons visitée à plusieurs reprises. Depuis, j’aime les vieilles églises. Cependant, mon initiation au culte de l’architecture moderne s’est faite lorsque je suis tombé sur le Salk Institute de Louis Kahn sans savoir ce que c’était. Je suis allé photographier ce qui de l’extérieur semblait être un formidable bunker et j’ai été époustouflé par le contraste inattendu avec sa cour intérieure. Cette dualité est commune à de nombreux bâtiments brutalistes allant de la cathédrale Saint-Michel de Coventry au Barbican à Londres, mais ce fut un choc pour moi à l’époque. C’est dans des bâtiments comme ceux-ci que j’ai appris à apprécier la pensée spatiale comme une forme d’intelligence non verbale. Cela se transpose dans la photographie des espaces.

 

D’a : Quel est votre parcours académique ?

J’ai suivi une licence en littérature anglaise (avec une option photographie) à l’université de Californie à San Diego, un master en image et communication (axé sur la photographie) au Goldsmiths College de Londres et, enfin, un doctorat en photographie à l’université d’Aalto à Helsinki, axé sur la notion d’atmosphère que j’oppose dans cette thèse (« Architecture’s Discursive Space: Photography Â») aux conventions établies de la photographie d’architecture.

 

D’a : Quel fut le cheminement vers la photographie d’architecture ?

Je suis entré dans l’architecture par la porte de derrière. Officiellement du moins. Lorsque j’étais en master en arts à Londres, je suis devenu obsédé par l’architecture mais j’ai pensé qu’il était trop tard pour aller l’étudier à l’école d’architecture. Alors j’ai commencé à lire tout ce que je pouvais et à assister aux conférences organisées par l’AA School. Ce n’est que lorsque j’ai fait mon doctorat en Finlande que j’ai été autorisé à suivre des cours à l’université Aalto d’Helsinki et à rendre ainsi mes connaissances plus « officielles Â».

 

D’a : Comment en êtes-vous venu à photographier des agences d’architecture à travers le monde ?

Une sévère phobie des bureaux est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas choisi de devenir architecte. Je me sentais comme un animal en cage chaque fois que j’étais obligé d’y passer du temps. J’ai ensuite commencé à visiter régulièrement des agences d’architecture au Danemark et en Finlande pendant mes études doctorales. C’est ainsi que j’ai pris le chemin de la guérison et je regrette aujourd’hui plus que jamais de ne pas être devenu architecte ! Ensuite, l’agence JKMM Architects à Helsinki s’est lancée dans un vaste chantier pour agrandir, transformer et moderniser son studio et m’a chargé de le photographier. Puis, j’ai entrepris de photographier 28 bureaux en 28 jours à travers les Pays nordiques. Depuis, je suis condamné pour l’éternité comme Sisyphe et son rocher !

 

D’a : Comment choisissez-vous les agences que vous photographiez ?

Dans chaque pays, j’identifie toujours quelques bureaux phares que je contacte puis je leur demande de m’en recommander d’autres. Mes choix reposent donc essentiellement sur le réseau. Dans mes sélections, j’essaye également de mélanger petites, moyennes et grosses agences, mais aussi de très beaux lieux et quelques moches !

 

D’a : L’esthétique n’est donc pas nécessairement un critère ?

L’esthétique est le moteur de mes commandes quand je travaille pour les architectes et entre également en jeu pour cette série. La beauté est extrêmement importante et, je crois, trop rare dans ce monde. Tout ce que je peux faire pour contribuer à mettre de belles choses en avant, je le ferai. Cependant, cette histoire se veut un regard impartial sur l’ensemble des studios d’architecture. La diversité est importante, et cela signifie qu’il n’y a pas une seule ligne esthétique qui détermine qui en serait et qui n’en serait pas.

 

D’a : Avez-vous identifié différentes « familles Â» de bureaux ?

D’abord, il y a une grande différence entre les succursales et les « maisons mères Â». Foster + Partners à Dubaï n’a rien à voir avec Foster + Partners à Londres. Il en va de même pour le Rogers Stirk Harbour + Partners à Shanghai par rapport à Londres. Ensuite, il y a les agences « vitrines Â» où l’esthétique est une priorité, où pas un centimètre carré n’est laissé au hasard et qui reflètent vraiment une image de marque comme 3XN à Copenhague, Morphosis à Culver City ou Foster + Partners à Londres. L’architecture de réutilisation adaptative demeure ma catégorie préférée, et cela inclut la Fábrica de Ricardo Bofill, KHR à Copenhague, Snohetta à Oslo, Renzo Piano Building Workshop à Paris ou EMBT à Barcelone.

 

D’a : Quelles agences rêvez-vous de photographier ?

J’aimerais vraiment voir celles de Renzo Piano près de Gênes, David Chipperfield à Berlin, Peter Zumthor et Herzog & de Meuron en Suisse, Alvaro Siza, Aires Mateus et Eduardo Souto de Moura au Portugal pour n’en citer que quelques-unes. Il faudrait également que je me rende à nouveau à Copenhague et à Londres pour y combler certaines lacunes importantes.

 

D’a : Quelles ont été vos plus grandes surprises ?

La Chine s’est révélée pleine de surprises, en particulier ZAO/standardarchitecture, Neri&Hu, Atelier Deshaus et SHL.

 

D’a : En général, les agences sont-elles à l’image de leurs architectes ?

Non. Et c’est justement ce que je cherche à analyser et à partager à travers ce projet, avec le but de publier un atlas qui les regrouperait toutes.

 

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