Une exposition
au Centre d’art GwinZegal de
Guingamp, dans le Trégor, rend compte de fragments de l’entreprise abyssale dans
laquelle s’est lancé ce
couple de plasticiens : inventorier par la photographie les choses construites,
sans discrimination aucune mais toujours représentatives des régions qu’ils explorent une à une. Le
premier volume d’un atlas – sur une trentaine prévue – est
publié à l’occasion. Il en ressort un
drôle de portrait de notre pays d’aujourd’hui. |
En
s’arrêtant sur ce que nous avons sous les yeux mais que bien souvent nous ne
savons voir ou que nous négligeons de regarder, la photographie joue de
sortilèges temporels. Parce qu’elle fixe ce qui est voué ou tend à disparaître
et capte ce qui apparaît ou est advenu. Il en est ainsi d’un lieu comme d’une
personne. C’est sur ce constat qu’ont été lancés les Observatoires
photographiques du paysage par diverses institutions régionales. Ceux-ci
missionnent des artistes chargés de déterminer des points de vue qui seront
reconduits année après année afin de mesurer changements ou permanences. Ce
dont s’écartent Eric Tabuchi et de Nelly Monnier de plusieurs façons. Parce
qu’elle se penche sur des objets construits, non sur des paysages. Parce que
leurs arrêts sur image pointent un moment donné, un présent chargé de durées.
Parce que leur mission ne relève que d’eux-mêmes, selon des règles et un
protocole qu’ils élaborent au fur et à mesure de son avancement – sans
modifier pour autant le cap qu’ils ont déterminé.
EFFACEMENTS
Cette
vacillation temporelle se retrouve dans la notion qu’ils avancent de
« régions naturelles ». Régions dont ils ont dressé carte, et qui
correspondent à des unités historiques ou géographiques anciennes. Elles n’ont
pas d’existence administrative ni de frontières ni même de définition bien
arrêtée. Elles viennent d’un vieux pays lui-même composé de « pays ».
Ce mot qui désigne aussi bien une entité territoriale que ceux qui se
reconnaissent entre eux pour y habiter ensemble. Un terroir, donc, avec tout ce
que ce mot porte d’ancrage à un sol et une histoire, et une population, forgée
par une économie et une culture dépendant de ses conditions de subsistance.
Le couple a
placé sa carte des régions sur fond de géologie, manière de rappeler que les
constructions dépendent des pays qui les portent, qui les ont produites et
qu’elles caractérisent. Si ces régions sont en cela « naturelles »,
elles n’en restent pas moins culturelles. Force est de constater qu’elles sont
issues de cultures qui s’estompent, emportées par d’autres échelles, d’autres
modes d’échanges.
Ces régions
naturelles sont des pays perdus. Bien souvent les objets et les constructions
qui les habitent sont des vestiges, des ruines, des choses construites fanées
ou fermées, déprimées ou abandonnées. Ils jonchent un territoire comme des
témoins du passé, oubliés ou négligés. Pourtant ils demeurent, même quand les
raisons pour lesquelles ils ont été produits ont disparu ou que l’économie Ã
laquelle ils répondaient s’est éteinte. Ainsi des matériaux, marqueurs
reconnaissables de telle ou telle région, mais depuis déjà longtemps remplacés
par des artefacts sans caractère de leur origine. Ainsi encore des
fonctions auxquelles ils répondaient – par exemple moulin, minoterie,
magnanerie, grange, usine – qui s’effacent quand elles ne sont pas
remplacées. Tandis que la production d’aujourd’hui ne relève plus de
l’arrangement avec un lieu et du génie d’une région. Elle se pose ici et lÃ
avec indifférence, ne cherche plus à durer, se périme rapidement. Son destin
est de devenir déchet.
EN PIED, À
CONTRE-PIED
Nelly
Monnier et Eric Tabuchi travaillent avec méthode. Ils cherchent des objets
isolés, qu’ils photographient en pied, sous une lumière égale. Si leur point de
vue est très élaboré, ils ne portent cependant aucun jugement de valeur sur la
matière qu’ils recueillent. C’est là le principal mérite de leur œuvre. Ils
donnent à voir un hors-champ du regard, des choses disparates, des choses si
banales que nous ne leur prêtons pas attention, ou bien des singularités
étonnantes, stupéfiantes, ou déplacées. Leur atlas se parcourt avec bonheur,
tantôt relevé typologique, tantôt cabinet de curiosités. Tour à tour tendre,
malicieux, étonnant, instructif, il fouette le regard et prend discours, habitudes
et certitudes à contre-pied. Abouti dans sa forme, inépuisable quant au fond,
il est à la fois achevé et inachevable, ainsi que l’est la réalité.
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