Anne-Claire Mialot : L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a été créée pour mettre en œuvre le Programme national de rénovation urbaine (PNRU) de 2004 à 2020, puis le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). L'objectif de l’agence est d’améliorer le cadre de vie et les logements de millions d’habitants dans 600 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qui concentrent le plus de difficultés sociales et des dysfonctionnements urbains. Pour cela, l’ANRU soutient et finance les projets de transformation portés par les élus locaux et les bailleurs sociaux.
Le premier programme a permis de produire 220 000 logements et d’en réhabiliter 408 500. Au-delà du logement, les projets ont permis la recomposition des espaces extérieurs, l’amélioration des services aux habitants par la construction ou la rénovation d’écoles, de commerces, de lieux culturels, etc. En vingt ans d’existence, la politique de renouvellement urbain a permis à 5 millions d’habitants de retrouver de la dignité par le logement.
Les projets de renouvellement urbain, notamment par la démolition, ont permis de diversifier le parc de logements dans les quartiers et donc de modifier leur composition démographique. La synthèse des travaux d’évaluation du PNRU par la direction générale des collectivités locales (DGCL) le montre bien : le nombre de quartiers où il y a de la diversité sociale élevée a augmenté pendant la période du PNRU et est passée de 21,9% à 40,8% en 2019, notamment en Île-de-France. Entre 2004 et 2020, 80 000 logements locatifs ont été construits en accession sociale, en locatif libre ou en intermédiaire, à destination des salariés des classes populaires et moyennes. Ils ont permis d’offrir des trajectoires résidentielles à des ménages habitant déjà les quartiers, à qui l’on a pu proposer de devenir propriétaire.
Je rappelle que l’Agence applique la règle « du 1 pour 1 ». Pour chaque logement démoli, elle finance la construction d’un logement dans un autre quartier à l’échelle de l’agglomération. Ainsi, 43 % des logements sociaux construits en remplacement l’ont été en dehors des quartiers prioritaires, toujours dans l’objectif de favoriser la mixité sociale.
d'a : Depuis 2003, de nouveaux enjeux ont émergé : l’urgence climatique impose de prendre en compte le bilan carbone de opérations, le manque de logements sociaux et très sociaux et les difficultés à en construire de nouveaux à bas coûts questionne leur destruction, le patrimoine moderne apparaît désormais digne de protection et les citoyens aspirent à prendre part plus activement aux décisions qui concernent un cadre de vie auquel ils sont attachés. Comment ces enjeux sont-ils pris en compte par l’ANRU ? Ont-ils fait évoluer les objectifs initiaux ?
A-C M :Le renouvellement urbain, c’est une formidable opportunité pour adapter les quartiers aux impacts du changement climatique. Le baromètre réalisé pour l’ANRU par l’institut Harris Interactive nous le rappelle, c’est dans les quartiers qu’on subit le plus les conséquences du réchauffement climatique (température du logement trop élevée l’été ou trop basse l’hiver, îlots de chaleur causés par les dalles en béton, etc.), alors même que ceux qui y habitent sont les moins émetteurs de gaz à effet de serre. 82 % des habitants des QPV placent la rénovation énergétique des bâtiments en tête des priorités pour l’avenir de leur quartier, soit 10 points de plus que le reste des Français. La loi de 2003 à l’origine de la création de l’ANRU fixe déjà la transition écologique, au même titre que la mixité sociale, comme un objectif de l’Agence. Depuis, les enjeux et l’urgence se sont accrus avec la réduction de la consommation de ressources, la limitation de l’artificialisation des terres arables, ou encore la limitation des îlots de chaleur. Pour s’assurer que les 14 milliards du NPNRU soient résilients, l’Agence a lancé la démarche Quartiers Résilients en 2022. Elle permet une analyse de la résilience de l’ensemble des projets NPNRU et un accompagnement renforcé pour une cinquantaine de quartiers ciblés.
Vous évoquez aussi la protection du patrimoine moderne à laquelle l’ANRU est vigilante et contribue. L’Agence a, par exemple, soutenu et financé les projets de rénovation du Serpentin, d’Émile Aillaud, à Pantin, ou encore la réhabilitation des logements de Renée Gailhoustet, à Saint-Denis Basilique, ou encore celle des Tours Nuage à Nanterre. Je suis convaincue que les projets de renouvellement urbain créent également le patrimoine remarquable de demain, comme l’écoquartier Les Noés, à Val-de-Reuil (Grand Prix « ville durable » des Green Solutions Awards et prix de l’Équerre d’argent dans la catégorie aménagement urbain et paysager, Atelier Philippe Madec et Plages Arrière), la médiathèque Léonard-de-Vinci, à Vaulx-en-Velin (Rudy Ricciotti), ou encore à La Pinède, dans le quartier Haute-Garonne à Cenon (Mia Hagg et Jean Nouvel).
Sur tous ces sujets, les attentes des habitants sont fortes et légitimes. Leurs vécus et besoins doivent compter dans les projets qui visent à améliorer leur cadre de vie. L’ANRU porte en ce sens des exigences de co-construction des projets et propose des outils aux élus et aux bailleurs sociaux pour mieux les intégrer. Nous finançons l’École du renouvellement urbain (ERU) qui forme tous les conseils citoyens, nous finançons également des missions de cabinets de conseil pour accompagner les collectivités dans la co-construction avec les habitants. Nous savons aussi que les projets de renouvellement urbain doivent inclure davantage encore la parole et l’expérience des habitants. C'est un des points sur lequel nous travaillons dans le cadre de la mission sur le futur du renouvellement urbain.
d'a : Les architectes Druot, Lacaton & Vassal ont fait la démonstration que la rénovation lourde du patrimoine moderne était possible (tour Bois-le-Prêtre, Grand Parc à Bordeaux). Les projets ANRU et leurs modèles de financement ne pourraient-ils pas être repensés sous l’angle de la rénovation lourde – effectivement plus complexe, plus longue, peut-être plus coûteuse – plutôt que sous celui de la démolition-reconstruction ?
A-C M : Tout au long d’un projet de renouvellement urbain, les élus locaux, bailleurs sociaux, habitants et l’ANRU sont en échanges très fréquents pour définir les objectifs en termes d’urbanisme, de sécurité, de transport, de résilience, et les moyens à employer les atteindre. Le choix entre la démolition-reconstruction et la réhabilitation s’opère en tenant compte des facteurs urbanistiques, économiques et environnementaux. Au total, deux interventions de l’ANRU sur trois en matière de logement social sont des rénovations.
La rénovation de la tour Bois-le-Prêtre à Paris est un bon exemple de ce qu’a pu financer le PNRU et de ce que l’on tend à faire davantage avec le nouveau programme. Les logements construits en 1961 ont été agrandis avec notamment un jardin d’hiver, tout en bénéficiant d’une baisse de la consommation énergétique de 50% et des nuisances sonores causées par le périphérique à proximité. Dans ce cas précis, le bâtiment était dans de bonnes conditions, et on a pu lui donner une nouvelle vie. Dans d’autres cas, nous assumons de devoir démolir pour adapter la configuration urbaine aux besoins d’aujourd’hui, que ce soit pour ouvrir le quartier sur le reste de la ville, ajouter des transports en commun ou encore des îlots de fraicheur.
d'a : Vous travaillez actuellement sur une mission de préfiguration de l’ANRU 3 : pouvez-vous d’ores et déjà nous en parler ?
A-C M : (l'entretien a été réalisé avant la nomination du gouvernement Barnier I ndlr) Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Patrice Vergriete, alors ministre du logement et Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État à la ville et à la citoyenneté ont confié le 12 décembre 2023 une mission sur le futur du renouvellement urbain à Jean-Martin Delorme, président de section à l’IGEDD, Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, et moi-même. L’objectif de cette mission est de nourrir les réflexions du Gouvernement pour la préparation d’une stratégie globale de renouvellement urbain. Nous avons déjà auditionné une quarantaine de chercheurs, partenaires institutionnels et spécialistes du renouvellement urbain et de la ville, anciens et actuels responsables politiques, responsables associatifs, pour prendre en compte leurs analyses. Nous avons pu aussi voir ce que le renouvellement urbain avait déjà changé dans des villes comme Nancy, Lyon et Nîmes, et ce qu’il reste à accomplir pour améliorer le cadre de vie des habitants. Le rapport sera rendu à la fin de l’été.