Deidi von Shaewen |
En ville ou dans le désert, des murs de Soho aux échafaudages colorés des quatre coins du monde, l’objectif en alerte de Deidi von Schaewen, photographe d’architecture, a capté d’étonnantes constructions éphémères, des mises en scène impromptues nées de l’activité humaine, qui emballent, cachent et révèlent les objets inanimés. Entre les installations et l’art brut, les séries qu’elle propose offrent un autre regard sur un panorama troublant. |
Un regard d’artiste et l’âme d’un grand reporter. Deidi von Schaewen ne se contente pas d’être photographe d’architecture ni de saisir l’angle qui rendra intelligibles les édifices et qui fera vivre des œuvres à peine achevées. Tout au long de ses repérages et de ses voyages, elle ne perd jamais de vue ce qui bouge dans la ville, la théâtralité involontaire du décor urbain. Depuis les années 1960, elle repère, comme des ready-made, des immeubles et des monuments drapés dans une silhouette éphémère : ceux que bâches et échafaudages dérobent momentanément à notre regard et nous révèlent sous le masque grave et mouvant de ces résilles moirées, lumineuses. Une méditation en trompe-l’œil, ironique et savante.
À la suite de ses nombreux voyages en Afrique, dans vingt pays, pour réaliser le livre en deux volumes Inside Africa (Taschen, 2003), de nouveaux objets escamotés sont apparus. Aux monuments se sont ajoutées des séries de voitures bâchées, en Égypte principalement, puis des cabanes en tôles colorées, repérées au long des routes de Mauritanie, où les semi-nomades abritent leurs stocks. Ou encore des huttes de fortune, des abris fragiles qui tracent la ligne de survie de populations démunies et pourtant inventives. La vie par tous les moyens.
Ce n’est pas l’approche d’un ethnologue, encore moins celle d’un simple voyeur ironique. Objets trouvés, mais pas objets volés… Dans ce grand tableau de l’humanité rustique, soumise à des conditions de vie précaires, cet art de faire tout avec un rien, de s’accommoder de la pénurie ajoute une dimension sensible, sinon tragique. C’est l’œil partageur d’une voyageuse amicale, émue par tant d’ingéniosité, apte à dresser le panorama de populations soumises à rude épreuve.
Intimité
Lorsque Deidi von Schaewen commence à photographier les murs arrachés des immeubles en démolition, à Berlin en 1961, avant de le faire en Espagne, à New York et enfin à Paris, peut-être se souvient-elle avoir marché, petite fille avec sa mère, dans les rues de la capitale allemande en ruine où apparaissait ce que personne n’aurait dû voir, l’intimité mise à nu par la guerre et la destruction.
Sa première exposition, en 1974, au musée national d’Art moderne, puis son premier livre, en 1977, s’intitulaient Murs (Presses de la Connaissance). Déjà , elle accomplissait ce devoir de documenter, de sérier et de mettre en relation les images qui l’obsédaient. Parfois, elle ajoutait un trait de couleur rouge sur ces vues austères, frustes et monochromes.
Après des études d’art à Berlin, sa ville natale, elle part à 24 ans à Barcelone, où elle côtoie la faune artistique de Cadaqués. Puis elle participe, aux côtés de l’architecte Peter Harden, à l’Expo 67 à Montréal. Ayant vécu quatre ans à New York, et travaillé avec le graphiste Herb Lubalin, elle arrive à Paris, en 1974, à l’occasion de la présentation du film Fender l’Indien, de Robert Cordier. Paris devient la base de ses nombreux voyages autour du monde. En France, elle s’impose comme photographe d’architecture. De Ricardo Bofill, dont elle avait photographié les premiers bâtiments en Catalogne, à Jean Nouvel et Andrée Putman, dont elle suivra toute la carrière de designer, elle est le témoin de ces années fastes et notamment des grands projets du premier septennat de François Mitterrand. Cependant, la personnalité d’artiste de Deidi von Schaewen reste en vigie. Voyageant autour du monde pour des livres publiés chez Taschen comme Fantasy Worlds (1999), ou Intérieurs de l’Inde (2000), puis préparant les deux volumes consacrés à l’Afrique, elle « collectionne »…
Collections
L’œil en alerte, le réflexe aussi rapide que le déclencheur, prête à surprendre tout ce qui bouge dans l’univers de l’inanimé, elle détecte, elle « chine » les signes négligés de la scénographie urbaine, les suites impromptues qui forment, à l’issue de cette œuvre de transfiguration, un ensemble cohérent d’images captivantes.
La série des Trottoirs, à partir de 1977, s’ajoute aux séries des Bâches, commencées dès 1966, qui feront l’objet d’un livre (Échafaudages, Hazan, 1992). Familière de l’œuvre des surréalistes (elle a réalisé un film sur Man Ray), Deidi von Schaewen tient la chronique visuelle de l’univers citadin, avec une attirance particulière pour l’éphémère, le collage, l’inattendu. Les monuments bâchés se reconnaissent à un détail, les bâtisses ordinaires deviennent de somptueux théâtres de couleurs, de scintillements et de reflets. La réalité n’est pas une, mais multiple. Les « trottoirs » renvoient une image de la « vie d’en haut » : avec leurs canettes écrasées, ils rappellent les « compressions » ; les immeubles « emballés » font penser au travail de Christo, sans son intervention… L’art brut, véritable objet de la quête de cette chercheuse de mystères, apparaît au coin de la rue : de Bombay au Caire, de l’Afrique du Sud à la Chine, et à l’Inde qu’elle a souvent explorée…
Son autre passion, celle des maisons peintes par les habitants, initiée en Inde et poursuivie en Afrique, sera le thème d’un prochain livre. Elle l’a conduite à créer une association, Femmes du Hazaribagh1, pour aider un groupe de villageois dans cette région du nord-est de l’Inde où elle s’est rendue déjà plusieurs fois et qui perpétue une tradition menacée… Ou comment réconcilier l’œil de la collectionneuse et l’action de terrain.
1. Association Femmes du Hazaribagh, 12, rue Popincourt, 75011 Paris.
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