La pandémie sanitaire mondiale a jeté une lumière crue sur les défis auxquels l’humanité est confrontée et a imposé des changements abrupts dans nos vies. Depuis plus d’un an et demi, nous sommes tous passés à des modes de vie dans lesquels nous sommes séparés les uns des autres. Nous avons été privés de toutes sortes d’expériences sensorielles ; nous avons été privés du plaisir de se serrer la main, de se prendre dans les bras ou de pouvoir prendre soin d’un parent malade ; nous avons été empêchés de partager physiquement notre travail et de communiquer nos idées avec les autres.
Certains – ceux qui le pouvaient – ont quitté la ville en quête des horizons plus vastes qu’offre la campagne. Certains d’entre nous sont retournés dans leur pays d’origine, recherchant, en cette période d’incertitude, la proximité de leurs proches.
Nous avons appris à apprécier l’air que nous respirons, les cieux clairs, les grands espaces… Nous avons compris l’importance d’un balcon, d’une fenêtre… en bref : l’importance d’un logement adéquat.
Nous avons aimé les villes sans voiture, les canaux cristallins de Venise, le ciel bleu de Pékin, et nous nous sommes tous rappelés que, plus que jamais, les espaces sociaux que nous offre encore la sphère publique de nos villes doivent être sauvegardés.
Il faudra un certain temps avant de connaître l’impact total du changement induit par le Covid-19 sur les villes dans lesquelles nous vivons, sur la scène de nos efforts quotidiens, sur nos petites habitudes et sur la cartographie de nos obligations et de nos désirs. Cependant, cette crise nous aura certainement rappelé certaines choses : l’importance de la science, de l’Europe ainsi que la signification du mot « public » – la Res publica –, pour n’en citer que quelques-unes.
J’ai eu l’honneur – et le plaisir – de visiter la plupart des réalisations sélectionnées pour le Prix d’architectures 10 +1 de cette année, et j’ai pu constater qu’il y a encore des raisons de croire à la Res publica – la république –, celle qui garantit que le logement, les équipements civiques ou les espaces publics sont des droits civiques fondamentaux, et non de simples produits. Quelle satisfaction de constater que la France n’a pas succombé – encore – à la destruction néolibérale des traditions sociales-démocrates. Ces traditions sont en train d’être anéanties dans de nombreux États membres de l’UE où le logement public, en particulier, est devenu un sujet difficile à aborder.
Les réalisations de logement de la sélection du Prix (toutes publiques sauf une) abordent la question du logement en tant que catalyseur des désirs de ses habitants. Dans ce sens, le logement est plus que quelque chose d’essentiel pour la planète, est plus que des ratios pour juger des plans urbains. Les opérations de logement sélectionnées sont conçues pour répondre aux attentes de leurs habitants. Que ce soit top-down ou bottom-up, elles nous donnent envie d’y vivre et d’habiter dans la ville compacte.
Elles font de chaque maison un lieu désirable.
Que nous dit le Grand Prix de cette année, ainsi que les autres équipements publics primés ? Ils nous rappellent que dans ce paysage équivoque que nous continuons d’appeler « ville », les programmes résidentiels doivent être moins axés sur les artefacts urbains que sur la conquête du territoire. Ainsi, les équipements civiques s’imposeront comme des phares, comme des marques de civilisation. Leur présence même, destinée à produire un dialogue avec leur environnement, à générer des expériences, devrait agir comme un aimant face à l’atomisation de nos habitats et comme une invitation à l’évasion hétérotopique, expérience essentielle à notre espace le plus intime, aujourd’hui réduit au cyberespace et aux communautés virtuelles.
En ces temps incertains, le cœur de la ville a besoin d’être ravivé par des dispositifs capables d’exercer une intense force centripète sur les éléments et les activités qui les entourent. Ils doivent s’opposer aux forces centrifuges qu’induit inexorablement la somme des intérêts principalement privés, et qui génèrent l’étalement urbain. Et aujourd’hui, ces dispositifs ont besoin de la Res publica pour exister.
Javier Arpa
Traduction : Emmanuel Caille
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