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Défenseur d’un design expérimental très ouvert au comportement imprévisible de la matière, le Wallon Damien Gernay est la seconde figure de la nouvelle scène du design belge que nous avons interrogée. À l’occasion d’un entretien détaillé, il nous explique ses manières d’aborder la production et de laisser une part du projet aux phénomènes factuels tels que la résistance, la coopération du matériau, l’hygrométrie ambiante et le moment précis où la fabrication opère. |
DA : Votre manière d’aborder la matière
semble intervenir directement et tout au long de votre processus de
conception. Pouvez-vous nous l’expliquer ? Damien Gernay : Oui,
j’ai étudié le design à l’ESA Saint Luc Tournai, en Belgique, et j’ai
terminé ma formation par une résidence de deux ans au Fresnoy, le Studio
national des arts contemporains à Tourcoing. À l’atelier de design de
Tournai, le chef d’atelier était peintre et non designer. Cela a été
déterminant pour l’orientation de mon travail : une approche plus conceptuelle
et expérimentale que fonctionnelle de l’objet. Je travaille
essentiellement en atelier. Je suis un amoureux de la matière que je
cherche à transcender en poussant les matériaux au-delà de leurs limites,
ce qui permet souvent de nouvelles mises en forme. De plus en plus de mes
pièces sont très compliquées à dessiner. C’est le cas de la série Bloated,
ou de la table Nuage, pour laquelle une partie du dessin dépend du comportement
de la matière elle-même. Ainsi, la plupart de mes pièces sont uniques,
même en série. L’erreur comme le hasard font partie intégrante de mon
travail. Dans la série Bloated, par exemple, l’expansion de la
mousse est liée à des paramètres (changements de température, humidité
variable, etc.) que je ne peux gérer dans mon atelier. Or, ils influencent la
forme finale de la pièce. De même, pour la série Textured, la
coulée de peinture est définie par la matière elle-même, dont je ne
contrôle pas pleinement la conduite. Et bien souvent, je m’appuie sur ces
accidents de fabrication pour dériver sur une nouvelle idée et une
nouvelle expérimentation. Aussi, entre deux séchages, je teste des idées Ã
partir de la situation en cours. Le premier test de l’étagère Lumberjack pour
l’éditeur français Eno Studio a été réalisé avec quelques morceaux de
métal soudés et les chutes du meuble Textured Sideboard. DA : Comment les techniques de
fabrication répondent-elles à l’imprévisible ? DG : J’ai appris les techniques du
moulage, de la résine, de la cire pour la fonderie et actuellement je suis
en train de travailler sur de nouvelles pièces qui font appel à la
technique de traînage du plâtre. Pour la série de lampes en bronze Veiled Lady,
je me suis inspiré de la technique de coulée par gravité, ainsi que de
celle du moulage en coque de céramique. Ce projet explore la notion de
canaux de coulée. Je fournis à la fonderie une pièce en cire constituée
d’alvéoles, l’idée étant ici de laisser le bronze chercher son propre
chemin dans cette multitude de canaux… La série Textured est aussi
l’aboutissement d’un long dialogue avec un artisan en trompe-l’oeil pour
trouver la technique qui rendrait le plus fidèlement possible cette idée
de coulée de matière. Quand j’ai recours au moulage, j’essaie de sortir du
moule, d’exploser la contrainte. Ce qui peut paraître antinomique avec le
principe même de moulage : à partir d’un même moule je cherche à sortir
des pièces à chaque fois différentes (Bloated, Nuage, Veiled Lady,
Nature synthétique…). Selon moi, le moule ne donne pas la forme : il
canalise, structure, mais ne définit pas. Je mets toujours en jeu une part
d’aléatoire. Dans la série Bloated, le moule sert simplement Ã
définir le contour des pièces, la déformation du cuir est libre. De même pour
les pieds de la table Nuage, il existe un seul moule mais tous les pieds seront différents, la matière choisit
elle-même son propre chemin, en fonction de la hauteur ou de la goutte de
pigment blanc qui a été lâchée. Même dans le cas de pièces éditées en
série, je cherche à respecter cette liberté de la matière, à faire en sorte que toutes
les pièces soient différentes, grâce à des variations dans le positionnement,
comme avec l’étagère Lumberjack, ou en travaillant avec des
matériaux bruts, comme avec les Beam Tables éditées par l’Italien MOGG (les
poutres venant toutes de palais vénitiens), pour ne citer qu’eux. DA
: Pouvez-vous décrire les processus de production de vos séries reposant sur
l’usage de matériaux composites et de mousse ?
DG : Le point de départ de la réflexion sur la série STRUKTt repose sur la mousse qui se trouve à l’intérieur. En effet, mon fournisseur de résine m’a déniché une résine révolutionnaire pour l’époque, développée pour des safrans de catamaran de course. Cette mousse a l’avantage d’être ultra légère. Elle est caractérisée par sa structure alvéolaire qui la rend ultra résistante et, surtout, contrairement aux mousses polyuréthane traditionnelle, elle peut être coulée en moule quasi fermé, avec un temps de durcissement assez long, ce qui laisse le temps de travailler. Le principe de conception de cette série est assez simple : constituer un sandwich de deux feuilles d’aluminium entre lesquelles cette mousse expansive est coulée, faisant office de structure. La mousse a la particularité d’être adhésive, par conséquent l’aluminium fait à la fois office de moule et de finition. Cette série de table et de chaise est restée à l’état de prototype. Je n’ai réalisé qu’une série de dix tables pour le musée de la Vie wallonne à Liège. Le Bloated Stool est pour sa part constitué d’une structure acier soudée dissimulée à l’intérieur de son assise, laquelle est composée d’une mousse polyuréthane souple coulée entre deux feuilles de cuir. La mousse gonfle et donne la forme de l’assise. Le temps de travail est rapide, autour de 5 minutes, et le temps de séchage définitif est de 15 minutes. Il ne me reste plus alors qu’à couper proprement le cuir et à brûler ce qui dépasse pour en terminer les finitions. La technique pour réaliser la Bloated Console est légèrement différente. La pièce est en effet moulée en deux temps. D’abord la partie supérieure de la pièce, pour laquelle j’ai fait fraiser un moule avec les motifs en négatif de ce que je souhaitais embosser. Une feuille de cuir est ensuite posée dans le moule, où je coule une mousse expansive, avant de le refermer. Le cuir est donc contraint et prend l’empreinte parfaite du moule. Pour la partie inférieure, la partie ballonnée est effectuée selon la même technique que pour le tabouret, le bureau ou l’étagère. Le gros défi et l’intérêt de la table Nuage, pour finir, tiennent à la technicité de ses pieds. Ceux-ci sont réalisés en résine polyuréthane transparente et la partie « nuageuse » en pigment blanc. La résine et le pigment étant plus lourds que la résine seule, celle-ci avait tendance à aller dans le fond du moule. Il a donc fallu trouver le moment exact de polymérisation pour obtenir cet effet nuage en utilisant une pompe à vide spéciale qui sert principalement à éviter les bulles dans la résine, suivant le même principe que les aliments sous vide : l’air est aspiré et la résine prend la place. |
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