Dossier réalisé par Juliette POMMIER Depuis 1968, en France,
l’enseignement de l’architecture a vécu plus d’une dizaine de réformes et de
multiples restructurations (décrets de 1968, 1969, 1971, 1972, 1973, 1974,
1978, 1984, 1997, 2005, 2018). Cette histoire est celle d’une tension entre
deux modèles pédagogiques, l’École des beaux-arts et l’Université, à la
recherche d’un modèle français pensé en résonance de plus en plus étroite avec
le système européen. |
Fondée en 1819, l’École des Beaux-arts était organisée autour du système des ateliers verticaux : les étudiants y faisaient toute leur scolarité auprès d’un « patron », depuis l’admission en première année jusqu’au Grand Prix de Rome. L’apprentissage du projet domine alors la formation, rythmée par les concours d’émulation, les esquisses en loge et les jurys à huis clos, les quelques cours magistraux d’histoire, de théorie et de construction et par le travail en agence. Formés au dessin et au « parti », à la hiérarchie du plan et des volumes, au goût et aux ordres classiques, les architectes « diplômés par le gouvernement » sont reconnus internationalement. Mais au rayonnement succède la sclérose : après la Seconde Guerre mondiale, la formation s’embourbe dans une approche historiciste qui n’a plus sa place dans la ville moderne.
Après de timides
tentatives de réforme pour inscrire la formation dans l’actualité de la
Reconstruction et des Trente Glorieuses, les grèves de Mai 68 entraînent
la fermeture de la section architecture des Beaux-Arts et la fondation des
Unités pédagogiques d’architecture (UP). Calqué sur l’Université, le cursus est
réorganisé en trois cycles de deux ans : 1. les connaissances de base, 2.
la formation fondamentale à l’architecture et à l’urbanisme, 3. la formation
approfondie et l’initiation à la recherche. Pour la plupart, les UP se fondent
sur un rejet du modèle Beaux-Arts et une ouverture au modèle universitaire.
Pour échapper à ce qui est dénoncé comme l’arbitraire de l’art, l’architecture
doit devenir une discipline universitaire reconnue et s’ouvrir à toutes les
sciences nécessaires à la construction de l’environnement : sciences
techniques, sciences sociales et histoire. Le champ de la représentation
s’ouvre aux arts plastiques, tandis que l’initiation à l’architecture intègre
l’analyse architecturale, le relevé ou l’exploration géométrique et
volumétrique des formes (basic design).
Les années 1970
constituent une période d’expérimentation foisonnante dans les UP, la tutelle
du ministère de la Culture leur laissant une grande liberté à l’intérieur d’un
cadre assez permissif établi par décret en 1971. Les nouvelles matières
s’accumulent, les équipes testent différentes modalités pluridisciplinaires, en
projet et plus tard en séminaire de recherche, les opportunités de pratique
opérationnelle se multiplient pour les étudiants qui s’impliquent dans la
recherche, la programmation, voire la maîtrise d’œuvre dès leurs études.
L’expérimentation constructive est développée, tandis que l’ancrage territorial
des nouvelles équipes pédagogiques inaugure des coopérations avec les acteurs
locaux. L’engagement politique irrigue certaines UP, ouvrant à la pratique
participative, parfois aux luttes urbaines. L’émergence de la recherche
architecturale et urbaine au cours des années 1970 se traduit progressivement
dans les UP par la fondation de laboratoires et l’ouverture de premiers
séminaires d’initiation à la recherche.
Au fil des expériences,
la pédagogie est structurée par une meilleure complémentarité des enseignements
tout au long du cursus, mais cette ouverture pluridisciplinaire s’accompagne
parfois d’un effacement du projet : la tension entre les deux modèles se
déséquilibre alors vers l’Université, perdant la spécificité de l’enseignement
de l’architecture.
Restructuration,
collages
La réforme d’Ornano
(1978) institue un retour au numerus clausus sous la forme
d’un concours d’admission en fin de première année – il sera abrogé en
1982. L’enseignement de l’architecture change de tutelle et passe au ministère
de l’Environnement et du Cadre de vie, et la structure administrative et
financière des UP est consolidée par la création de conseils d’administration
et de commissions pour la pédagogie et la recherche (CPR). Mais cette réforme
n’aborde pas les contenus pédagogiques, qu’elle délègue désormais aux UP, sous
réserve d’une validation des programmes par une nouvelle instance nationale, le
Conseil supérieur de l’enseignement de l’architecture : c’est lui qui
favorise le retour au projet et au dessin.
Les réformes ultérieures
de 1984 puis 1997 viseront ce même rééquilibrage, tout en entraînant des
déséquilibres successifs. Alors que la recherche architecturale commence à se
structurer, la réforme de 1984 supprime le troisième cycle : le cursus se
déroule désormais en deux cycles de deux et trois ans, pour s’aligner sur
l’université et permettre des passerelles – mais en n’intégrant aucun
doctorat. Des formations postdiplômes sont alors créées, mais elles ne
concernent que les étudiants qui souhaitent se spécialiser ; néanmoins, le
diplôme conserve généralement la production d’un mémoire et d’un projet. La
création de certificats pluridisciplinaires instaure le regroupement
d’enseignements autour de thèmes partagés, mais cette opportunité de
restructuration est inégalement saisie selon les écoles, menant parfois à un
collage plus ou moins signifiant d’enseignements préexistants. Cet effet de
collage se retrouve dans les conflits de tendances qui animent les
établissements rebaptisés « écoles d’architecture » en 1984 – en
résonance avec l’éclectisation des doctrines et l’émergence du star-system.
En 1992, le rapport du recteur
Armand Frémont préconise de recentrer les études autour de l’enseignement du projet. Alors que la tutelle
des écoles vient de repasser au ministère de la Culture (1995), la réforme de
1997 rétablit trois cycles et accentue le recentrement sur le projet. Le
troisième cycle ouvre à une spécialisation vers la maîtrise d’œuvre (stage et
diplôme DPLG) ou permet de rejoindre d’autres formations de troisième cycle Ã
l’université. Si la focalisation sur le projet domine les années 1990, les
acquis des années 1970 perdurent en mode mineur. Les sciences humaines, les
sciences techniques, les arts plastiques demeurent présents, mais de nouvelles
dimensions hiérarchisent les savoirs et savoir-faire transmis : la ville
et le territoire sont enseignés notamment en histoire et en projet urbain ;
l’informatique et les langues se sont généralisés ; la question
patrimoniale émerge.
En 2005, Ã la suite du
processus de Bologne (signé en 1999, il établit un parcours unifié dans
l’enseignement supérieur au niveau de toute l’Europe), la mise en place de la
réforme LMD (licence, master, doctorat) dans les écoles d’architecture
restructure à nouveau le cursus pour établir le système qui régit
aujourd’hui ces études à l’échelle européenne. Trois cycles de trois
ans (licence) + deux (master) + trois (doctorat) organisent les études, des
fondamentaux à la recherche, le doctorat en architecture étant institué. Une
spécialisation vers la maîtrise d’œuvre est créée sous forme de licence
d’exercice, là encore sur le modèle européen : l’habilitation à la maîtrise
d’œuvre en nom propre (HMONP), formation postmaster d’un an qui articule
stage et formation professionnalisante. Le DPLG est remplacé par le diplôme
d’architecte diplômé d’état (ADE), qui nécessite désormais la HMONP pour donner
le droit de s’inscrire à l’Ordre et donc de déposer des permis de construire.
La réforme consacre aussi l’ouverture aux métiers de l’architecture dans
leur diversité, avec des formations postmaster à la scénographie, la
réhabilitation, la gestion des risques, etc.
Complexification et autonomisation
La réforme LMD consolide
la place centrale du projet dans la formation, en insistant sur la conception Ã
différentes échelles, en intégrant les usages, les techniques et temporalités
propres à chaque type d’opération. Le projet, anticipation dessinée de l’espace
à construire, est également défini comme processus complexe déployé dans le
temps, l’espace et la société. La réforme insiste aussi sur la progressivité
pédagogique, par une complexification graduelle des thèmes et des échelles abordés,
vers l’autonomie des étudiants : l’organisation thématique et progressive
de la licence permet de les initier à la diversité des programmes, du
logement à l’équipement et au projet urbain, de l’échelle du détail à celle du
territoire. En master, des missions plus complexes sont abordées, telles que la
réhabilitation, le processus participatif, le réemploi ou la programmation, en
intégrant désormais la notion de développement durable.
Ces évolutions
programmatiques vont de pair avec un spectaculaire accroissement des effectifs
étudiants. De 1968 à 1975, les effectifs ont presque doublé, de 8 000 Ã
15 000 étudiants. Ils augmentent puis se stabilisent progressivement vers
19 500 étudiants, chiffre qui représente aujourd’hui la capacité d’accueil
maximale des 20 écoles d’architecture. La volonté d’ouverture
démocratique de la formation a fait long feu, et la critique du numerus
clausus a laissé place à une sélection de fait, progressivement
généralisée à toutes les écoles au début des années 2000.
Après des décennies de
recherche sur la conception, la discipline architecturale s’est constituée
comme objet de connaissance, et progresse dans la définition de ses compétences
spécifiques, entre théorie et pratique. Pourtant, la tension entre le modèle
Beaux-Arts et celui de l’Université perdure souvent dans la fracture entre les
enseignements théoriques et ceux de projet. Cette tension et la faiblesse des
moyens alloués aux écoles d’architecture par comparaison avec l’Université
suscitent le lancement d’une vaste concertation sur l’enseignement et la
recherche en architecture par la ministre Aurélie Filippetti, synthétisée dans
le rapport de Vincent Feltesse et Jean-Pierre Duport (2013). Ses conclusions
préconisent l’inscription claire et définitive des écoles d’architecture dans
la sphère de l’enseignement supérieur, en y associant les moyens, les droits et
les exigences de l’Université : elles nourriront l’importante réforme de
2018.
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