SANAA: l'agence

Rédigé par David LECLERC
Publié le 30/06/2012

Agence Sanaa: Depuis la rue aucun signe distinctif ne permet de l'identifier

Article paru dans d'A n°192

La production de l'agence japonaise SANAA a fait l'objet de beaucoup d'attentions ces dernières années. Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa ont livré depuis quelque temps un nombre impressionnant de bâtiments à travers le monde : le musée du XXIe siècle de Kanazawa en 2004 ; le Pavillon de verre du musée d'Art de Toledo (Ohio) et l'École de gestion et de design de Zollverein à Essen en 2006 (voir d'A n° 158, oct. 2006) ; le New Museum de New York en 2007 (d'A n° 160, déc. 2006- janv. 2007) ; et plus récemment le Rolex Learning Center de Lausanne (d'A n° 190, avril 2010). La remise du prix Pritzker aux deux associés vient couronner un parcours étonnant. Grâce à l'éruption du volcan Eyjafjöll, David Leclerc a visité en avril dernier leur agence à Tokyo.

L'agence est située dans le quartier de Koto, au sud de Tokyo. Une atmosphère étrange règne sur cette zone du port construite sur des terres récupérées sur la mer, où cohabitent des hangars industriels, de sinistres barres de logements sociaux et de gigantesques tours de logements flambant neuves. L'ensemble forme un paysage urbain inquiétant, peu accueillant et étonnement désert. Tandis que Toyo Ito et Kengo Kuma ont leurs agences dans les centres urbains de Shibuya et d'Ayoma, SANAA est installée dans un vieux hangar en tôle ondulée, construit en bordure d'un canal, entre la rue et l'eau. Aucun signe distinctif, pas même une enseigne, ne permet d'identifier le lieu de travail des Pritzker 2010. En entrant par une porte ou des coulissants, le visiteur est tout de suite confronté au vaste espace intérieur du hangar peint en blanc, subdivisé en différentes zones de travail par des casiers de rangement. En guise d'accueil, ni secrétaire ni espace de réception, mais une table jonchée des restes de matériaux qui, la veille, ont servi à la construction d'une maquette. Il est 11 h 30 du matin. L'agence est étonnamment calme, comme après une longue nuit de charrette. Le désordre qui y règne est la conséquence inévitable d'une production intense. Une quantité impressionnante de maquettes envahit l'espace. Elles sont partout, posées par terre ou sur des tables, ou soigneusement stockées sur des plateaux empilés les uns sur les autres. Leur prolifération produit des architectures imaginaires et hors d'échelle, composées des infinies variations d'un même objet. Ces maquettes fabriquent à elles seules un paysage intérieur qui témoigne d'une méthode de travail. Une ambiance décontractée règne dans le lieu. Quelques rares employés sont assis devant leurs écrans d'ordinateur. En parcourant les allées, on en découvre quelques autres sous des couvertures, dormant sur des canapés ou cachés derrière des feuilles de carton pour s'isoler. Mais la plupart ne sont pas encore arrivés. Jack, un jeune architecte irlandais qui travaille chez SANAA depuis un an, nous fait visiter l'agence.


MAQUETTES

SANAA privilégie le travail en maquette et une approche sérielle pour explorer simultanément différentes
solutions spatiales. Chaque projet, quels que soient son échelle et son niveau de complexité, fait l'objet de maquettes innombrables, chaque version étant une variation subtile de sa voisine. La méthode de travail de l'agence repose sur une règle simple. Au commencement d'un projet, plusieurs architectes font des propositions à partir de directions définies par les associés. Chacune d'elles doit comporter un plan et une maquette à la même échelle. Ces différentes options sont évaluées collectivement et permettent de faire progressivement des choix. Le travail en maquette intervient à tous les stades de la conception du projet, des premières esquisses aux détails constructifs. Des maquettes de la façade du hall d'entrée de l'annexe du Louvre à Lens montrent avec précision le système du mur-rideau et son articulation avec le plan de toiture. Toujours blanches et parfaitement exécutées avec du carton plume, de la mousse, du papier, du plexiglas ou du rhodoïd, elles ont déjà cette légèreté et cette absence d'épaisseur qui caractérisent l'architecture de SANAA et qui ont fait sa réputation internationale. Pour éviter l'asphyxie ou la paralysie, des centaines de maquettes d'études sont jetées à la benne à l'occasion d'un grand nettoyage annuel. Seules celles destinées à la présentation sont conservées et voyagent à travers le monde dans différentes expositions. Jack nous dévoile l'une d'entre elles, le projet du Rolex Learning Center récemment inauguré à Lausanne. Tandis que les photos publiées dans la presse soulèvent la question des usages que peut accueillir cette étrange strate ondulante, la gigantesque maquette révèle au contraire un paysage intérieur dense, ponctué de zones dédiées à différentes activités, où le mobilier est représenté avec minutie. Sur un mur, un affichage de photos sert à la préparation de la prochaine Biennale d'architecture de Venise, dont Kazuyo Sejima a été nommée directeur.


TROIS EN UNE

L'absence de hiérarchie au sein de l'agence est manifeste. Pas de bureau, ni de salles de réunion. L'espace de travail est à l'image de l'architecture revendiquée par ses auteurs : ouvert, fluide, encourageant les échanges. Au fond du hangar, le long de la façade vitrée qui ouvre sur le canal, une grande table et une collection de chaises en aluminium de Charles Eames servent de lieu de réunion et de travail collectif. La présence du mobilier de Eames témoigne d'une affinité évidente avec le designer américain : sa maison, construite à Pacific Palisades en 1949, qui exploite avec brio la légèreté d'une ossature en acier et qui privilégie l'idée de la maison comme un réceptacle de vie et de mémoire (comme en témoignent les objets qui s'y accumulent au fil du temps), n'est pas étrangère au travail de l'agence nippone. Kazuyo Sejima travaille au bout d'une table partagée avec d'autres jeunes architectes ; Ryue Nishizawa s'est réservé un coin derrière quelques casiers pour ses projets personnels. Car le lieu regroupe en réalité trois agences. SANAA a été créée en 1995 pour gérer les projets importants et les chantiers à l'étranger. Mais les deux architectes travaillent aussi séparément, en nom propre, sur des bâtiments d'échelle plus petite, en particulier des maisons. L'agence a conservé une taille assez modeste quand on considère la quantité et la diversité des projets en cours d'études au Japon et de par le monde. Environ 35 employés y travaillent actuellement, en général très jeunes, SANAA ne recrutant aucun architecte de plus de trente ans. Les stagiaires ont trois mois de période d'essai non payée. Comme dans nombre d'agences japonaises, on y travaille beaucoup et l'on y dort peu. Dans un coin, un amoncellement de cadeaux et de magnifiques orchidées envoyés par des admirateurs à l'annonce de la remise du Pritzker. Après Kenzo Tange (1987), Fumiko Maki (1993) et Tadao Ando (1995), Toyo Ito, chez qui Kazuyo Sejima a travaillé avant d'ouvrir sa propre agence en 1987, est le grand absent de cette lignée nippone.


PÉPINIÈRE

SANAA est également une référence pour une nouvelle génération d'architectes japonais. Junya Ishigami y a travaillé avant de s'installer à son compte en 2004. Invité du pavillon japonais à la dernière Biennale d'architecture de Venise en 2008, il a construit son premier bâtiment sur le campus du Kanagawa Institute of Technology, dont le succès l'a propulsé sur la scène internationale : la grande boîte de verre ponctuée d'une myriade de fines colonnes rectangulaires disposées de manière aléatoire est également un concept récurrent dans l'oeuvre de SANAA. L'emplacement et l'orientation des points d'appui sont le résultat d'un schéma structurel complexe qui permet d'assurer le contreventement latéral du bâtiment. Spatialement étonnant, l'espace intérieur souffre malheureusement d'une absence de considération thermique… Après avoir réalisé plusieurs projets sur l'île d'Hokkaido, dont il est originaire, Sou Fujimoto vient de livrer les Tokyo Apartments, un ensemble de volumes en forme de petites maisons, empilés les uns sur les autres et accessibles par des escaliers extérieurs. Son travail repose sur une décomposition du programme en volumes distincts qui sont juxtaposés pour fabriquer des compositions à l'image de villes miniatures : idée proche de celle que Ryue Nishizawa avait adoptée dans sa célèbre maison Moriyama construite à Tokyo en 2005. À l'opposé de l'oeuvre de Tadao Ando, qui a célébré durant des décennies le mur comme limite et le béton comme matière, le travail de SANAA renoue avec une conception plus japonaise de l'espace architectural : dématérialisation de l'enveloppe, lisibilité de la structure, flexibilité spatiale. L'agence a développé une manière de travailler, un mode de représentation et une culture visuelle qui lui sont propres et qui ont eu une influence considérable ces dernières années en raison d'un nombre important d'expositions et de publications. Reste à s'interroger sur la compatibilité de son fonctionnement actuel avec la célébrité et l'afflux de commandes qui accompagnent généralement la réception du Pritzker.

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