Dans le cadre du salon Cevisama en février 2018 à Valence, première structure 100% en céramique. La structure pèse 1662 kg. |
Depuis 2010, Martin Bechthold dirige un
atelier de recherche au sein de l’École supérieure de design de Harvard.
Ingénieur, docteur en design et architecte ayant collaboré avec SOM et
Calatrava, il travaille sur l’intégration de la robotique dans les processus de
fabrication-construction et le développement de systèmes de matériaux avancés.
Chaque année, le groupe MaP+S (Material Processes and Systems) expose dans le
cadre du salon Cevisama de Valence, en Espagne, des prototypes et des
sculptures qui explorent les possibilités techniques de la céramique. Pour
l’édition 2018, l’équipe de Bechthold a imaginé le « Tile Grid
Shell », une structure de 6 mètres de long, pour la première fois en
céramique 100 % structurelle. |
D’a : Le « Tile Grid
Shell » explore les capacités structurelles offertes par des plaques de
céramiques. Comment est née cette idée ? Ce projet fait partie d’un large corpus de
recherches mené par le groupe MaP+S. Nous y explorons entre autres de nouvelles
applications pour les carreaux de céramique minces et de grand format. Les
avancées technologiques récentes ont permis aux fabricants de carreaux de
concevoir des plaques de plus en plus grandes – jusqu’à 3,6 mètres
par 1,2 mètre –, et dans des épaisseurs comprises entre 3 et
20 millimètres. Ces plaques sont pour l’heure principalement
utilisées pour les finitions de surfaces intérieures, les revêtements de
façades ou les finitions de meubles. Nous nous sommes donc intéressés à l’étude
de leurs applications structurelles : leurs propriétés mécaniques sont
excellentes, les tolérances de production faibles et la durabilité élevée. Grâce
à leurs nouveaux formats, on peut désormais les traiter comme des matériaux en
feuille, tels le contreplaqué ou les plaques de métal. Pour construire le
« Tile Grid Shell », nous nous sommes appuyés sur des travaux
existants, comme l’installation « Protoceramics » réalisée en 2015
pour le Cevisama. Il s’agissait d’une approche tectonique différente, avec la
réalisation de trois colonnes de 3,6 mètres de hauteur constituées de
grandes plaques. Nous y avons testé plusieurs opérations de pliages à froid, de
flexions ou de coupes… Cette année, avec le « Tile Grid Shell »,
notre principale motivation était d’atteindre la plus grande portée en
utilisant le moins d’éléments possible. La forme caténaire de la structure est
conçue pour minimiser les contraintes de flexion et s’étendre efficacement
entre trois points d’appui. À notre connaissance, c’est une première mondiale
dans ce domaine, ce type de structure étant habituellement réalisé en métal ou
en bois. Nous avons imaginé ce prototype comme un exemple concret de conception
systémique reproductible, et non comme un objet unique. D’a : Comment avez-vous défini la
géométrie des composants ? En phase conception et prototypage, nous
avons créé un modèle paramétrique pour exécuter un certain nombre de tâches. Le
modèle a non seulement généré la géométrie globale du pavillon mais il a
également permis de définir la forme des composants, en fonction de la taille
des plaques existantes. Il fallait nous adapter aux tolérances d’assemblage et
dimensionner les éléments en fonction des contraintes de charge. Nous avons
établi les paramètres dimensionnels pour chaque plaque grâce à la combinaison
de tests empiriques et de simulations numériques. Les prototypes physiques ont
joué un rôle important dans le processus de conception, notamment des études
grandeur nature pour tester la menuiserie et les détails de connexion. Des
maquettes à grande échelle et des tests physiques de charge nous ont aidés à
vérifier la séquence d’assemblage. Grâce à cela, nous sommes arrivés à la forme
finale de la structure qui s’étend sur 6 mètres. Chaque élément est
composé de deux couches de carreaux de céramique de 6 millimètres
d’épaisseur, et trente d’entre eux sont percés de nervures pour faciliter
l’emboîtement. D’a : D’où provient la matière
première de cette structure ? Il s’agit de grands carreaux disponibles
dans le commerce fabriqués par TheSize à Almazora (Castellón), en Espagne. Ils
ont été découpés en composants pour le prototype à l’aide d’un jet d’eau CNC à
2,5 axes. En raison de la taille du lit du jet d’eau, les composants
individuels percés d’une nervure structurelle ont été limités à une longueur
maximale d’environ 1,8 mètre. L’une des innovations spécifiques de ce
projet réside dans la séquence d’assemblage qu’il a fallu mettre au point. Les
plaques sont donc entaillées de nervures et celles-ci forment un motif en
spirale radiale allant du centre vers l’extérieur de la structure. Cette
séquence d’assemblage permet à chaque nervure d’être emboîtée verticalement par
le dessus, éliminant le besoin de connexions mécaniques entre elles et
minimisant les contraintes de flexion sur les carreaux pendant la phase
construction. D’a : À partir de vos différentes
expériences, quelles sont les évolutions possibles de la céramique, en termes
de fabrication et de mise en œuvre ? Dans l’avenir, l’usage de la céramique
dans l’architecture ne se limitera pas à une simple plaque collée à un substrat
rigide. Les céramiques à base d’argile sont l’un des systèmes les plus anciens
de l’humanité. Elles ont toujours été remarquables pour leur solidité, leur
densité, leur durabilité et leur capacité à prendre diverses finitions de
surface. Prenez l’exemple des industriels : leurs capacités de production
ont évolué pour offrir de l’impression numérique à jet d’encre, ce qui permet,
à grande échelle, la personnalisation de carreaux au niveau de la finition de
surface. Selon nous, la prochaine étape dans ce processus sera la
personnalisation de la masse des éléments, au-delà de la finition de surface,
vers de nouvelles formes tridimensionnelles. Les fabricants passeront du statut
de « producteurs de masse » à celui d’« adaptateurs de
masse ». En parallèle des améliorations des
techniques de production existantes que nous venons d’évoquer, les technologies
additives de production (additive manufacturing technologies, dites
AMT, NDLR) – communément appelées « impression
3D » – ouvrent de nouvelles pistes quant aux applications
architecturales de la céramique. Ces technologies offrent la possibilité de
sortir d’un processus de conception limité à des composants standard tous issus
d’une même machine, d’une même matrice, avec des fixations identiques. Bien que des défis techniques subsistent
et que les coûts de l’impression 3D à cette échelle soient encore plus élevés
que les méthodes industrielles établies – telles que l’extrusion –,
ces technologies offrent des expressions matérielles entièrement nouvelles pour
un matériau séculaire. Plusieurs de nos projets de recherche, comme
l’installation au Cevisama 2017 intitulée « Ceramic Morphologies »,
ont exploré le potentiel expressif de l’impression 3D sur la céramique. Globalement, les céramiques
architecturales du futur seront des éléments plus polyvalents, qui vont
améliorer leurs propriétés thermiques, environnementales, acoustiques et
structurelles. Nous considérons les processus de fabrication numérique et les
innovations en science des matériaux comme essentiels. Tous nos travaux se
situent précisément à cette intersection.
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