Libre, inconditionnel et gratuit - Foyer d'accueil de la Mie de Pain, Paris XIIIe

Architecte : Atelier Robain Guieysse
Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 04/04/2014

L'art de l'hospitalité et la maîtrise de la fonction symbolique de l'habitation dans la ville sont au cœur de la pratique architecturale. Imaginer un foyer d'accueil pour ceux qui n'ont ni toit ni reconnaissance au sein de la société exacerbe au plus haut point ces deux injonctions déontologiques. En visitant le bâtiment récemment livré rue Charles-Fourier à Paris, on comprend que c'est avec une conscience aiguë de ces enjeux et une grande empathie que les architectes Antoinette Robain et Claire Guieyesse ont pensé leur projet.

 

 

Pour aborder la question de l'hébergement des personnes en difficulté économique ou réglementaire, la voie entre attitude respectueuse et hypocrisie est étroite. Il faut faire preuve de dignité sans apitoiement, se montrer accueillant mais rester discret, s'adapter à de fortes contraintes de fonctionnement sans être discriminant. « Comment assumer une figure qui soit de l'ordre du tri et de la sécurisation tout en concevant sa porosité, pour conjurer le syndrome de l'enfermement d'individus rompus au plein air de la rue ? », écrivent les architectes. Dans ce quartier devenu discrètement bourgeois du treizième arrondissement, si la rue porte le nom de Charles Fourier – le célèbre théoricien utopiste du phalanstère –, un centre d'hébergement n'est pas pour autant bienvenu pour la majorité des riverains. Beaucoup de passage, une détresse que la pudeur ne suffit pas toujours à cacher : le malheur est une nuisance. 

 

La distance juste 

Dans cette parcelle où étaient implantés les premiers locaux de la Mie de Pain, les architectes ont gardé l'un des bâtiments sur rue. Il est actuellement transformé en gymnase de quartier, manière assumée de faire écran mais avec une activité offerte aux riverains. Jouxtant cet édifice sur la droite, abritant il y a encore peu les dortoirs communs et le réfectoire, un bâtiment se retourne en L contre le mitoyen. Il est aussi en cours de réhabilitation et accueillera plus tard l'administration de la Mie de Pain. Le nouveau bâtiment, qui recense pas moins de 202 chambres, s'avance en partie à l'alignement de la rue à gauche du futur gymnase dont il est séparé par une faille qui invite à rentrer dans la cour d'accueil puis dans le hall d'entrée. De là, les nouveaux locaux se déploient au cœur de la parcelle en un socle et trois nefs qui vont s'adosser jusqu'aux murs pignons rythmant les héberges. Contenus dans l'enveloppe maximum autorisée par le PLU, les volumes dessinent des cours interieures qui prolongent celles voisines sans créer de vis-à-vis. Dans la deuxième phase, la jonction entre les deux édifices d'origine sur rue sera percée pour offrir à la nef en cœur d'îlot une deuxième respiration vers la rue. S'ouvrir en retrait, à juste distance, mais sans pour autant se cacher du regard des passants. 

Pour régler la complexité des problèmes de contrôle–quientreounondanstelleou telle zone ? – sans donner la sensation de « fliquer » ceux que l'on veut accueillir, les architectes ont effectué un délicat travail sur les sas et les seuils en vitrant autant que possible les espaces sur la cour intérieure. Ils ont divisé le programme en 4 entités : un jardin de pleine terre, un socle d'activités communes sur le toit duquel s'organisent les lieux de vie commune et enfin les chambres (on comprend mieux cette partition sur les schémas page 75). Si cet aménagement est assez naturellement déterminé par le programme, le système de distribution verticale des unités d'accueil qui le structure lui donne toute sa pertinence en se déployant à chaque étage en « ailes de libellule » – comme aiment à les appeler les architectes. Pour une claire lisibilité distributive des trois nefs de chambres, seul cet escalier les dessert (même si ascenseurs et escaliers de secours sont par ailleurs réglementairement disposés). Entièrement vitré, il est un peu comme un prolongement du « pont » des parties communes. À chaque niveau, il étend ses paliers en espaces semi-ouverts jusqu'aux trois nefs. Cette progression du public au privé puis à l'intime jusqu'aux chambres est sans doute l'axe sur lequel repose tout l'équilibre de cette grande maison. La gradation des espaces plus ou moins clos, isolés et ventilés tend à effacer tout effet d'enfermement tout en préservant un sentiment de domesticité. Ces nuances dans la « respirabilité » de l'espace ont été le fruit d'une longue réflexion dont témoigne Emmanuel Doutriaux – consultant des architectes sur ce projet – dans un texte à lire page suivante. 

 

Bienveillance

On comprend combien de tels locaux peuvent être soumis à rude épreuve, autant du point de vue de leur robustesse que de leur entretien. Au lieu d'utiliser des revêtements de protection et toutes sortes d’accastillages de sécurité qui renvoient davantage aux prisons ou aux mauvais hôpitaux, les architectes ont préféré révéler ici la matière même de la construction, l'offrir dans sa massivité, brute mais soignée : béton lissé au sol et lasuré sur certains murs des chambres, béton matricé et sablé des garde-corps du bâtiment socle, maille déployée d'acier Inox des claustras de circulation. Les assemblages entre menuiseries et parois sont dessinés avec rigueur pour être le plus simple possible : sans débord, cornière de rattrapage ou modénatures de fortune qui vieillissent mal et nuisent à l'entretien quotidien. Ces attentions ne relèvent pas seulement d'un attachement à se conformer aux usages pour une fonctionnalité optimum de l'institution. Elles s'inscrivent dans une cohérence globale et une attitude qui à chaque étape et à toutes les échelles de conception témoignent d'une empathie qui se fait ici architecture. 

 

La mie de pain 

C'est à Paulin Enfert (1853 – 1922) qu'il faut faire remonter l'existence des œuvres de la Mie de Pain. Ce fils de corroyeur du quartier des tanneurs de la Bièvre avait créé dans ce quartier pauvre de Paris le patronage Saint-Joseph, pour enfants. En 1889, un donateur (Jules Nolleval) cède un grand terrain pour mieux les accueillir. Le patronage prend alors de l'ampleur, se consacre désormais aux hommes majeurs, sert la soupe populaire et se rebaptise Mie de Pain en 1891. En 1932 un premier dortoir de 300 places est construit. Une des particularités de ce foyer d'obédience catholique est d'accepter tous les hommes sans condition de religion ou d'identité (donc même des immigrants clandestins). La forte augmentation ces dernières années du nombre de sans-abri, la vétusté des locaux et les nouvelles exigences sanitaires et réglementaires ont conduit à lancer ce projet de réhabilitation et de construction d'un édifice nouveau. En 2009, l'Atelier Robain Guieysse est choisi sur concours. Les personnes étaient hébergées la nuit et devaient libérer les locaux au matin. Mais à la suite de la loi sur le droit au logement opposable (Dalo) en 2007, il devenait illégal de remettre des personnes à la rue, bouleversant considérablement l'organisation complexe de la gestion des hôtes. Le rôle de l'association ne se limite cependant pas à offrir des repas (un restaurant de 550 couverts) et à l'accueil d'urgence (360 places, 131 400 nuitées offertes par an) mais dispense aussi des soins et de l'accompagnement social.

N'hésitez pas à faire un don sur www.miedepain.asso.fr



Maîtres d'ouvrages :  RIVP, Association des œuvres de la Mie de Pain
Maîtres d'œuvres :  Atelier Robain Guieysse (mandataire), E. Doutriaux (consultant)
Entreprises : Pradeau & Morin
Surface SHON :  11 834 m²
Cout : 22, 9 millions d'euros HT (bâtiment), 0,61 million d'euros HT (cuisine)
Date de livraison : 1er trimestre 2015


Lisez la suite de cet article dans : N° 225 - Avril 2014

Au deuxième niveau, rue réservée aux pensionnaires Cours intérieure L'escalier principal distribuant les trois nefs

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