Architecte : V+ et Rotor Rédigé par Pierre CHABARD Publié le 15/04/2017 |
Deux des agences les plus stimulantes de la scène belge, V+ (Vers plus de bien-être) et Rotor, associées pour la circonstance, viennent de livrer une architecture à la fois radicale et furtive pour le siège du MAD, le centre de la mode et du design à Bruxelles, nouvel outil pour une ville qui conçoit la mode moins comme une industrie du luxe que comme un champ de création.
Quel programme est plus nébuleux et incertain qu’un centre de la mode et du design, à mi-chemin entre création et business, et culture et spectacle ? Ce n’est pas un musée, mais il faut pouvoir y exposer ; ce n’est pas un bâtiment tertiaire, mais on doit y trouver des bureaux, des salles de réunion, des ateliers ; ce n’est pas un grand magasin, mais des activités de nature commerciale peuvent y avoir lieu ; ce n’est pas une école, mais des formations, des conférences ou des séminaires s’y donnent régulièrement ; ce n’est pas un espace de réception, mais on doit pouvoir y organiser toutes sortes de mondanités qui animent le milieu. Face au flou de cette équation programmatique (elle-même en réécriture perpétuelle), l’architecte peut être tenté, comme ce fut le cas de Jakob & MacFarlane à Paris, de répondre par la surenchère formelle d’une architecture autoréférentielle, par un événement architectural pur et sans contenu. Aux antipodes de cet « over-design » et pour un budget quatre fois moindre, V+ et Rotor proposent à Bruxelles une tout autre réponse au même type de programme : un anti-objet, une sorte d’« architecture à l’envers » – comme le dirait Lionel Devlieger, cofondateur de Rotor1 –, c’est-à -dire une stratégie qui exploite les ressources architecturales du site et recompose autrement les locaux de trois bâtiments des années 1950-1960 qui préexistaient en une série disparate et involontaire sur le terrain destiné au MAD.
Produire une cohérence
Soucieuse d’implanter cette institution à proximité de la rue Dansaert, qui a vu fleurir dans les années 1990-2000 les boutiques de jeunes créateurs et les friperies chics, avant d’attirer des grandes enseignes de la mode, la Régie foncière de Bruxelles a en effet rendu disponible un assemblage de deux parcelles traversant un îlot entre la place du Nouveau Marché aux Grains et la rue du Rempart des moines (respectivement tangentielle et perpendiculaire à la rue Dansaert). Lauréats du concours en 2011, V+ et Rotor sont les seuls à avoir proposé de conserver les trois immeubles existants, conscients que les contraintes urbaines ne permettraient pas de reconstruire aussi dense. Mais comment faire un seul bâtiment de ces trois objets « as found », stylistiquement et spatialement hétéroclites ? Non par un geste unique et héroïque, mais par la combinaison de multiples tactiques. D’abord, il s’agit de garder une relative cohérence typologique : dans le bâtiment A, un petit immeuble moderniste de bureaux de trois niveaux, donnant sur la place, les architectes installent plutôt les parties administratives du programme ; dans le bâtiment B, un épais magasin d’usine du XIXe siècle, les locaux les plus amples (ateliers, cafétéria, grande salle polyvalente) ; dans le bâtiment C, un petit immeuble d’habitation reconstruit dans les années 1960 dans un style historiciste, quelques logements (où la directrice du MAD espère à terme accueillir des créateurs en résidence). Par ailleurs, il s’agit de retravailler la coupe longitudinale de cet ensemble, dont aucun niveau ne coïncide. Parmi les principales interventions structurelles : une surélévation en bois au-dessus du bâtiment A (pour accueillir un « espace VIP ») ; la démolition de la dalle du rez-de-chaussée du bâtiment B pour exploiter le sous-sol et créer une vaste salle polyvalente en balcon et double hauteur (pour l’« éclaircir », la structure de la salle a même été remplacée par neuf doubles colonnes en acier, situées en périphérie) ; la démolition de la « fausse » toiture à deux pans du bâtiment C pour déployer une vaste terrasse accessible depuis la cafétéria. Grâce à des nouvelles passerelles, et à de judicieux percements, les architectes ont reconstitué, à chaque niveau, de lumineuses continuités visuelles et physiques qui traversent l’ensemble de bout en bout, horizontalement et verticalement. Dans un mélange de clarification spatiale, de fluidification des circulations (souvent dédoublées) et de démultiplication des possibles, le bâtiment peut accueillir avec souplesse les différents types d’activités, prévues ou non, d’un « centre de la mode et du design », et donc survivre, peut-être mieux qu’un autre, à l’éventuelle disparition de cette institution.
Un pragmatisme inventif
Parmi ces tactiques d’unification du bâtiment, le choix de le transformer en un monochrome architectural blanc pour atténuer ses différences de matérialité est sans doute la moins convaincante, même si elle était la plus raisonnable financièrement. Comme pour fixer au moins une variable dans une opération qui en compte tellement, une « grammaire » chromatique a été établie : un même RAL 9016 pour les peintures et une large palette de nouveaux matériaux tous choisis dans une finition blanche (marbres, carrelages, sols Pirelli, escaliers en acier laqué, etc.). Audelà de cet effet « 50 nuances de blanc », parfois un peu démonstratif, la stratégie matérielle de V+ et Rotor de réemploi et de mise à nu systématique a permis non seulement une élucidation de cet assemblage conjectural de bâtiments, de styles, de temps différents, mais surtout un dépassement de la dialectique éculée entre ancien et nouveau. Nul conservatisme dogmatique, nul fétichisme de l’ancien, nulle sensiblerie romantique n’ont présidé à ce projet, mais un pragmatisme éclairé et attentif, fruit d’interminables négociations entre les deux partenaires de l’équipe de maîtrise d’oeuvre : les architectes de Rotor, qui ont abordé l’opération avec leur approche presque archéologique et critique de toute logique de péremption, et ceux de V+, qui s’ingéniaient à ajuster le projet au cadre normatif, aux contraintes réglementaires et aux limites budgétaires. « C’est comme si on avait fait monter sur la même scène Bob Dylan et les Sex Pistols ! », s’amuse rétrospectivement de V+ (sans dire qui est qui…). Énergique et conciliant, immédiat et fluide, l’étonnant équipement qui en résulte pose, en tout cas, un jalon important dans la recherche d’une architecture de la matérialité plus que du style, du temps plus que de l’espace, de la performance plus que de la forme.
1. Voir Lionel Devlieger, « L’architecture à l’envers », Criticat,
no 18, automne 2016, p. 90-101.
Maîtres d'ouvrages : Régie foncière de Bruxelles
Maîtres d'oeuvres : V+ et Rotor
Entreprises : Jacques Delens
Surface : 2900m2
Cout : 6 millions d'euros HT
Date de livraison : Avril 2007
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