DÉPLAÇONS LA BANLIEUE EN DEHORS DE LA PERIPHERIE !
Architectes, urbanistes, vous qui cherchez à conce- voir des lieux qui donnent envie de vivre ensemble, de se rencontrer et de se mélanger, des lieux accueillants, abrités du soleil ou de la pluie, vous êtes de dangereux provocateurs! Votre angélisme fait le lit du crime et le ministère de l’Intérieur risque bien de vous rappeler à l’ordre. Depuis le 6 septembre, une circulaire interministérielle* recommande d’accroître le rôle de la police dans les choix d’aménagements urbains. Et celle-ci a des idées bien arrêtées en matière d’architecture: elle préconise, entre autres, de supprimer tous types d’auvents et de protections afin de décourager les gens de se rassembler. Il faut désormais renoncer aux toits-terrasses : les toitures plates transforment en effet nos barres de banlieue en véritables porte- avions d’où les sauvageons lâchent cailloux et autres munitions préalablement stockées. La police voit dans l’urbanisme des années soixante un
monde «cauchemardesque» pour ceux qui veulent y maintenir l’ordre. Cette analyse aurait sans doute étonné le baron Haussmann, lui qui rêvait d’es-
paces dégagés pour que ses troupes ne soient plus piégées dans les rues corridors.
Ces mesures seront sans doute aussi efficaces que celles qui ont permis d’éradiquer le problème des SDF par la suppression des bancs et micro-espaces
où ils trouvaient refuge. On se souvient également comment la morale publique a été restaurée par la fermeture des routes du bois de Boulogne, où la prostitution parisienne sévissait en toute impunité. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin? Ne pourrait-on pas condamner les fenêtres des immeubles, dont on sait qu’elles sont le poste idéal des francs-tireurs et des caillasseurs? Il doit être possible de supprimer les cages d’escalier, lieux de tous les trafics illicites et autres nuisances
interpaliers. La suppression des parkings permet- trait également de décourager incendies de voitures et car-jacking.
Ou peut-être faudrait-il avoir le courage d’engager une politique d’aménagement plus ambitieuse dont les dernières mesures prises pour régler le problème
des Roms donnent un avant-goût prometteur: pourquoi ne déplacerions-nous pas les banlieues en dehors de la périphérie des villes?d’architecturesest un magazine libre et indépendant de toute institution, Ordre, entreprise du BTP ou groupe d’architectes. Il est uniquement financé par vos abonnements, la vente en kiosque et l’apport des annonces publicitaires.
Emmanuel Caille
*Le Mondedu 22septembre 2010.