Vanessa Fernandez / Marie-Jeanne Jouveau / Jean François Parent / Emilie Bartolo |
Le
second tour des élections ordinales va prendre fin le 8 mars 2021. Pour faire
suite à l’entretien mené avec la liste Mouvement
des Architectes publié dans le but de mobiliser l’électorat, nous donnons
la parole à la liste Défense profession
Architecte qui se présente également au Conseil régional de l’Ordre des architectes
d’Île-de-France. La discussion a été menée avec Vanessa Fernandez, Marie-Jeanne
Jouveau et Jean-François Parent candidats aux élections
ordinales en IDF lors du second tour et avec Émilie Bartolo, actuelle
représente de l’Ordre régional sur cette même liste. |
D’a : Quels sont les enjeux de ces élections ordinales 2021?
Vanessa
Fernandez :
Il me semble que nous assistons à un changement de
paradigme. La profession, sous sa forme
individualiste, arrive à un certain constat d’échec après avoir été malmenée par les acteurs de la
construction. Il y a une prise de conscience amenant un changement dans la
profession et dans son système représentatif. Il y a beaucoup de confusion
autour de l’accès à l’Ordre des architectes. Beaucoup ne se sentent pas
représentés, ce qui
peut expliquer la faible participation aux élections ordinales dans la région. L’institution s’adresse
apparemment à une certaine
catégorie de maîtres d’œuvre. La représentativité d’une pratique quotidienne, plus ordinaire mais
néanmoins indispensable, n’est pas assez considérée. Elle concerne pourtant une
grande partie de confrères, qui peuvent se sentir oubliés des débats. Il faut
recentrer le débat sur des questions concrètes liées aux territoires. La région
Île-de-France tend à oublier la condition suburbaine et le rôle des architectes
dans la préservation d’un cadre de vie qualitatif, au-delà des limites de
Paris. Une représentativité équitable de nos
territoires doit être respectée dans les institutions et dans les discussions y
prenant place. Cela ne veut pas dire qu’il faut écarter les débats nationaux, au contraire, mais aussi voir
comment ils se traduisent sur le terrain, au quotidien.
Marie-Jeanne
Jouveau : Nous sommes en train de perdre la maîtrise d’œuvre
d’exécution, et avec elle nous allons voir disparaître les phases PRO/DCE. Nous
ne serons plus capables de tenir la qualité de l’œuvre architecturale, d’autant
plus que cette perte de missions s’accompagne dans de nombreux contrats d’une
suppression de la propriété intellectuelle. Le plus inquiétant, c’est que cela
fragilise la loi sur l’architecture de 1977. C’est dommageable, pour les architectes, pour l’intérêt général,
et donc pour les maîtrises d’ouvrage
également, qui ont tout à y perdre, mais qui, par méconnaissance du rôle de
l’architecte, pensent qu’il est responsable de leurs problèmes.
D’a : Comment expliquez-vous cette faible mobilisation lors du
premier tour des élections ordinales ?
Jean-François
Parent :
La mobilisation ne se réduit pas au seul moment des élections. Elle doit être
quotidienne chez les
architectes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et on l’a vu hier par exemple avec
la loi ELAN contre laquelle il nous a été difficile de nous mobiliser alors que
nous en mesurions les effets négatifs pour tous et en particulier pour notre
profession. Les
élections permettent de rappeler l’importance de cet engagement collectif pour
une profession qui souffre. Cependant, l’isolement – souvent produit d’une forme d’individualisme, la représentation que
l’on se fait de l’architecte (chez les architectes comme dans le « grand public ») –, sont des
sujets que nous devons aborder plus profondément. Ce n’est pas le cas aujourd’hui dans les instances
représentatives. C’est
pourquoi, nous souhaitons travailler avec l’ensemble des élus, les architectes
et les jeunes en formation à un Ordre qui réponde à ces attentes et aux nouvelles exigences de notre métier dans sa diversité. Le
faible engagement, 16 % de votants dans la région, qui rassemble un tiers
des architectes, c’est catastrophique ! Cela doit interroger nos organisations
représentatives. Une réflexion de fond doit être menée sur et avec l’Ordre comme outil
institutionnel, pour mieux nous situer et nous affirmer dans la société. Comment être impliqué, comment
s’engager, comment s’épanouir, si nous ne sommes pas pleinement inscrits dans
notre environnement social ? C’est à l’Ordre de nous aider à dynamiser
cette implication.
D’a : Y a-t-il une nécessité de re-légitimer la parole de l’Ordre ?
Comment imaginez-vous l’Ordre au travers de votre liste ?
Jean
François Parent :
Il n’y a pas à re-légitimer une parole mais plutôt à renforcer sa légitimité. L’ensemble des
organisations existantes doivent être en première ligne. Il en va de l’intérêt
de la profession mais plus largement de l’intérêt collectif pour l’amélioration
et la transformation du cadre bâti. La
légitimation de l’action doit primer, d’où l’importance à ce que les architectes fassent corps, afin d’être au
cœur des préoccupations actuelles. On
peut distinguer trois niveaux dans l’action de la profession et de ses
institutions : le national (voire l’international), le régional et le
local, c’est-à -dire le territoire où nous travaillons et développons notre
pratique quotidienne dans sa diversité. De notre point de vue, il s’agit aujourd’hui,
par une vision transversale, de mieux articuler ces trois niveaux d’actions
dans une double dialectique où chaque « instance » à ses prérogatives
mais où le Conseil régional joue un rôle moteur de la dynamique
professionnelle. Le Conseil national de l’Ordre des architectes est l’interlocuteur
privilégié de l’État et il faut renforcer sa position vis-à -vis des
institutions. Le Conseil régional
– enjeu de ces élections et pour lequel nous nous sommes engagés dans cette
campagne – peut être le lieu privilégié de cette articulation dynamique. Lieu
de la réflexion, de la confrontation, de l’expérimentation en lien avec les
territoires pour l’affirmation de la profession. Notre profession mute, et il faut que
ceux qui nous représentent (l’Ordre mais également les syndicats) puissent
se transformer et correspondre au mieux aux nouvelles problématiques
émergeantes.
Émilie
Bartolo : Le respect de la rémunération est également un sujet au
cœur de notre action. L’amende de la haute autorité de la concurrence auprès de
l'Ordre national des architectes il y a deux ans aurait été l’occasion d'ouvrir
le débat au sein de la profession. Nous demandons les moyens de pouvoir faire
une architecture qualitative et cela passe par un salaire décent. Un système de
barème plancher permettrait de reprendre la main collectivement sur un une
concurrence creusant les disparités d’honoraires. L'Ordre des architectes allemand,
appuyé par le Gouvernement fédéral, a tenté de conserver son barème d'honoraire.
Si la bataille a été perdue, elle a eu le mérite d'être menée et ça n'est pas
le cas en France ! N'est-il pas temps d'ouvrir une large mobilisation pour
une juste rémunération ? L'Ordre des architectes est l'interlocuteur privilégié
des pouvoirs publics, il a le pouvoir de mettre le sujet sur la table. Il est
nécessaire d’inverser la tendance et de mettre en avant les sujets que la liste
DpA défend, pour cela il faut faire corps et porter nos valeurs collectivement
devant nos interlocuteurs.
D’a : Allez-vous vous inscrire dans une continuité ou bien renouveler
le débat au sein du conseil régional ?
Émilie
Bartolo : La
stratégie a toujours été la même : travailler sur les sujets, réagir lorsque
c’est nécessaire. Au-delà d’une participation aux missions régaliennes, l’objectif
est d’être présent à l’ensemble des réunions officielles du conseil régional de
l’Ordre. Nous portons la position de DpA en essayant d’obtenir du CROAIF des
infléchissements, des prises de positions publiques. Il y a également une
mission de lien entre l’Ordre et les acteurs qui n’y sont pas. L’intérêt pour
une association comme DpA d’être à l’Ordre, c’est d’obtenir des informations
afin de pouvoir les partager aux confrères. Sur des sujets important comme la
loi ELAN, ça a permis de faire le lien entre les institutions et les débats
prenant place. Bien que nous ne puissions pas agir sur le processus de l’exécutif
de l’Ordre, cette transmission est cruciale. C’est un moyen de faire vivre
l’institution pour que les architectes se saisissent de celle-ci.
Jean
François Parent :
Les 16 % de votants nous
montrent une défiance des architectes vis-à -vis l’Ordre, particulièrement en Île-de-France
où jamais n’a été « atteinte » une participation aussi faible. Il est
donc impératif de s’interroger, dans un esprit confraternel mais engagé, sur
les raisons de cette situation. Situation révélatrice et à dépasser. Notre
profession est déjà partiellement marginalisée dans la société mais surtout
dans les lieux et aux seins des organismes où se décide, se dessine l’avenir de
nos territoires, de nos villes, de nos lieux de vie. Si « continuités »
il doit y avoir, c’est donc bien avec l’extérieur qu’elles sont à travailler et
développer. Il semble en effet urgent d’œuvrer collectivement à la création de relations
fortes avec notre environnement (au sens large) pour valoriser un métier que
nous apprécions tous malgré les difficultés. Ce qui invite, de notre point de
vue, à un certain nombre de ruptures « politiques » et, pour le moins,
à des clarifications et changements dans la vie ordinale. Nous voulons donc
être à la fois un stimulant au sein de notre institution comme pour la
profession pour engager cet indispensable débat.
D’a : Quel message l’Ordre peut-il adresser aux jeunes
architectes ou aux architectes diplômés d’État qui ne sentent pas
concernés ?
Marie-Jeanne
Jouveau :
Notre formation manque de
bienveillance, c’est une formation violente, qui favorise l’individualisme de
notre profession. La variété de métiers auxquels nous pouvons accéder est riche
et ne se limite pas à la maîtrise d’œuvre, cela doit être valorisé et encouragé
pendant la formation. C’est même très important que des architectes soient
présents dans toute la chaîne de l’acte de bâtir, en amont du projet, là où se
prennent les décisions et où se construit la ville. Il faut au moins 10 ans
pour former un architecte. Une partie de cette formation se fait à l’école, et que
cette partie soit plus théorique n’est pas un problème. Une autre partie se
fait en agence, et nos agences doivent accepter le rôle de formation dont notre
profession a besoin. On voit beaucoup d’annonces de recrutement pour de jeunes
architectes avec déjà 2 ou 3 ans d’expérience, où on leur demande d’être
autonome, d’avoir fait du chantier et de maîtriser un logiciel parfaitement, ce
qui n’est pas possible. Accueillir un jeune architecte dans son agence c’est
accepter de le former.
Vanessa
Fernandez :
Le monde concurrentiel ne semble plus être un modèle auquel adhèrent les
étudiants aujourd’hui. Ils comprennent que cela leur nuit fondamentalement.
D’autant plus qu’ils sont persuadés que le collectif a un rôle majeur à jouer.
La mentalité a évolué et est différente : l’idée que l’architecte veuille
absolument apposer sa signature semble désuet. Il s’agit plutôt d’agir socialement en valorisant les
savoir-faire de tous les architectes dans leur diversité. Notre liste veut intégrer les ADE dans les
débats menés dans cette instance représentative qu’est l’Ordre. Le système de doubles-diplômes
hiérarchisés (ADE et HMONP) entretient cette
mise à l’écart d’une partie de la profession qui ne se sent pas légitime d’être
représentée, alors que
nous partageons diplômes et compétences.
D’a : Quels thématiques la crise a-t-elle permis de
mettre en avant dans ces revendications portées pour ces élections du
CROAIF ?
Vanessa
Fernandez :
Il y a un parallèle entre la crise sanitaire, la crise de représentation des
médecins, et notre profession. L’écart entre ceux qui participent aux institutions en prenant part aux
grandes directives
et ceux qui sont sur le terrain et observent des décalages entre les prises de
décisions et la réalité du terrain se creuse. Il faut inverser ce schéma où l’institution
dit au praticien exerçant sur le terrain comment faire. Il en va de même pour
le monde de l’architecture. C’est une voix plurielle plutôt qu’un discours
formaté et unique que nous promouvons.
Il faut apporter des réponses à des besoins de manière constructive. La crise
sanitaire a bloqué les gros chantiers, mais elle a également fait exploser les
commandes privées d’extensions et de rénovations en banlieue. Les Franciliens se
retrouvent à étudier et travailler à la maison à quatre avec des contraintes multiples alors que l’on manque
d’espace. Les problématiques sont
concrètes. Bien que ce ne soit pas le type de commandes le plus « glamour » et glorieux, c’est une
demande forte qui se développe et un cadre d’exercice digne et engagé. Ouvrons la discussion sur
ces types de pratiques tout comme on ferait bien d’écouter les médecins
généralistes de terrain pour savoir comment traiter l’épidémie plutôt que les directives ministérielles.
Jean-François
Parent :
On s’est rendu compte durant cette
année de « crise sanitaire » à l’échelle planétaire, de l’importance
de notre profession. En effet, la crise que nous vivons aujourd’hui est avant
tout le produit d’une crise beaucoup plus profonde, plus ancienne, dénoncée
depuis longtemps par les architectes : celle de l’aménagement du
territoire, celle d’un modèle de développement urbain, celle de nos façons
d’habiter (elles-mêmes produits d’une crise systémique)… Cette situation a
montré la pertinence de nos analyses, de nos façons de comprendre l’évolution
de nos sociétés, de nos capacités d’appréhender et d’anticiper certaines
situations inconnues pour contribuer à la résolution collective des problèmes
nouveaux qu’elles posent à tous. Malheureusement, nous ne sommes pas assez
audibles, écoutés… Les batailles menés depuis de nombreuses années – pour le
logement, en particulier un Habitat à Loyer Modéré, pour le développement
d’outils publics de production du cadre bâti, pour résoudre la crise de
l’habitat à l’échelle planétaire – n’ont pas été suffisamment portées, pour le
moins au plan national. Cette situation nous a amenés à accepter une certaine
banalisation de nombreux de phénomènes urbains : étalement urbain, marchandisation
de la production, bidonvilisation… Mais cette crise montre aussi, par
contraste, notre éloignement des lieux de débats, de décisions concernant les
grands enjeux sociétaux auxquels nous sommes confrontés, et pour lesquels nos
analyses et propositions sont centrales. Nous revenons ainsi à la première
question concernant le rôle de l’Ordre. Il est fondamental d’être dans tous
les lieux où les grandes questions organisant notre vie quotidienne sont
débattues. En France, notre absence de discussions est regrettable. Il faut que
les architectes soient au cœur des décisions politiques au-delà même de leurs
domaines de compétences. L’Ordre doit être le stimulateur de ces combats, il
doit pousser les architectes à s’y engager… Et cela commence, pour nous, par le
vote pour ce second tour d’élection.
Plateforme de vote en ligne – les identifiants et mots de
passe ont été envoyé par mail aux architectes inscrit à l’Ordre (Objet :
Election CROA 2021 – VOS CODES POUR VOTER AU 2nd TOUR)
https://vote.election-europe.com/Elections-architectes/
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