Projet Caritas par Jan de Vylder; Inge Vinck; Jo Taillieu |
Les
biennales : il y en a trop, et partout. En 2013, l’université IULM de
Milan en recensait 110 de par le monde, rien qu’en art, sculpture, photographie
et vidéo. Qu’une petite
partie seulement ne concerne l’architecture ne change rien, car l’on peut
estimer sans forcer le trait que c’est la biennale d’art qui imprime lentement
mais sûrement sa forme et ses travers à ce type de manifestation :
étonnement obligatoire, surenchère expositive, appui sur la starisation,
visiteurs et journalistes snobs et blasés parcourant des milliers de kilomètres
pour perpétuer l’entre-soi institué dans leur patrie d’origine. Loin de nous
distinguer de cette cohorte désabusée, nous entendons coller de plus près au
stéréotype en vous livrant ce guide à l’emporte-pièce de la XVIe biennale
d’architecture de Venise, la mère de toutes les biennales et la seule qui
convient vraiment d’avoir vu. Tout ceci dans l’attente de la biennale suivante,
qui sera toujours la meilleure ! |
Un
thème : freespace
Yvonne Farrell et Shelley
McNamara avaient défini pour cette édition un thème attrape-tout :
freespace, l’espace libre, que chacun s’est empressé d’interpréter à sa façon. Espace gratuit, ou espace disponible
de suite, par exemple, au pavillon anglais, auquel il ne manque que le numéro de l’agent immobilier
pour prendre possession des lieux. Le manuel d’utilisation du thème diffusé par les commissaires élargissait
encore le champ des possibles. Si l’on est dans la continuité de la précédente
biennale, avec ses thèmes participatifs et son attention bien-pensante aux
« communautés », il manque un second souffle que ce bisrepetita ne
trouve pas. Le freespace y est trop souvent synonyme de vide, comme le pavillon
anglais, hongrois, suisse, belge, vide comme la place du Campiello Tana où le
discours inaugural de Farrell/McNamara était projeté devant un espace complètement
free d’audience. Les autres années, sous le même soleil de plomb, il y avait du
monde. Rien de déshonorant, mais un petit passage à vide qui incitera peut-être
les organisateurs à confier sa biennale à un commissariat plus détonnant. Nous
ne nous priverons pas de formuler des hypothèses dans les lignes qui suivent.
Devrions-nous perdre notre pari et la mise importante placée chez les
bookmakers, nous garderions une certitude : l’heureux-se élu-e devrait s’y
coller de suite !
AUX GIARDINI
Perdre la mesure au pavillon suisse
« Quand
j’étais petit, je n’étais pas grand » :
tout l’esprit du pavillon suisse tient dans cette comptine pour enfant. Mixant
« la maison géante » où le cadre domestique est remis à
l’échelle d’un enfant de 4 ans pour mieux comprendre les problématiques de
sécurité domestique, avec la version « intérieur » de France Miniature ou du Portugal
des tout-petits, nos voisins Helvètes organisent la cohabitation de Gulliver et
de Passepartout. Pas de conflits, le changement d’échelle est réduit aux portes
et aux plans de travail, pas de chicaillerie sur le choix de l’évier ou de la
plomberie. C’est blanc, propre, et beau comme une maquette construite par une
imprimante 3D en phase de calibrage, et ça a conquis le jury de la biennale qui lui a accordé son Lion d’Or.
Le commentaire du visiteur avisé : « les portes de 110 de haut avec la réglementation qu’on a, c’est pas demain la veille ».
S’euro rencontrer en Belgique
L’hymne
à la joie, hymne de l’Europe, retentit dans ce pavillon où tous les citoyens de
l’EU sont invités à débattre passionnément du futur de notre union à 28. Une
grande place à gradin circulaire peinte en bleue se jouant des refends
orthogonaux du bâtiment pour devenir une agora à la grecque, que l’on imagine
se remplir de citoyens en toges pris de passions démocratiques.
Malheureusement, l’espace n’attire pas les foules et reste aussi vide que le
pavillon anglais, et c’est bientôt l’hymne à la fausse joie que l’on entend
sourdre des murs esseulés.
Être
ou ne pas être, tel est la question que se posait Hamlet dans son château
danois de Kronborg. Assemblage disparate d’objets étrangers les uns aux autres,
le pavillon danois dépasse le dilemme shakespearien en étant sans être. En mode
cadavre exquis, se succèdent le nouveau centre d’architecture de Copenhague — le
blox de OMA — que l’on
découvre ici à travers un film qui semble avoir été créé pour séduire les
sponsors, un hôtel centenaire reconstruit à l’identique après un incendie, et
un projet de train Hyperloop imaginé par l’enfant terrible du pays, qui fait de
plus en plus figure de fils prodigue depuis qu’il est une star mondiale, Bjarke
Ingels en personne. À 1200 km/h, explique une vidéo, les rares hublots
percés dans les tubes du train d’Elon Musk seront réunis par la persistance
rétinienne, formant un panorama continu bien qu’un peu saccadé. En bref,
l’opaque deviendra transparent, une vraie promesse biblique. Sortie d’on ne
sait où, des ailes de
chauves-souris blanches ont été montées sur les colonnes. Pour faire s’envoler
un pavillon qui ne décolle pas vraiment ?
Passé l’entrée, le visiteur français se demande comment il est
arrivé sur le stand de l’agence AREP : gare ailes d’avions futuristes
invitent au voyage en train à travers la Russie, pays où le train garde une
certaine importance — le chemin de fer unit les deux extrémités du pays, les gares sont le théâtre de
film et de romans, sans parler du train d’agit prop ou du train de Trotsky.
Malgré l’installation artistique d’une consigne en rez-de-chaussée, où l’on
apprend que Bowie ne voyageait qu’en train depuis qu’une voyante lui avait
prédit une mort en avion, Station Russia ne déclenchera pas plus que des
transes sibériennes.
Les
huissiers ont-ils vidé le pavillon anglais ? Les tracasseries douanières post brexit ont-elles bloqué les
panneaux d’exposition à la frontière ? Que nenni ! Pas la peine de revenir plus tard pour
laisser le temps aux déménageurs d’installer les œuvres : nos voisins
britanniques ont choisi de laisser leur pavillon dans l’état où on le trouve entre deux biennales. Leur
interprétation du terme « freespace », espace libre de tout où peuvent se déployer des paroles
dans le vide chères à Adolf Loos. Au choix, on trouvera grossière ou géniale ce
qui s’apparente tout de même à ce que l’on qualifierait d’un « botter en touche » sur des pelouses de stades.
Le jury de la Biennale n’a pas vu de geste antisportif dans cette blague
enrobée d’un propos politique, et a donné un accessit à cette installation qui suggère pourtant l’arrêt de
l’exposition. Signe d’une volonté inavouée d’en finir, au moins pour un temps,
avec les Biennales ?
Joyaux
de Sverre Fehn, le pavillon nordique ne va pas bien et connaît de gros
problèmes structurels. Est-ce la raison pour laquelle les commissaires
finlandais viennent nous parler de nature avec des bulles gonflables paraissant
sorties d’un chantier de dépollution dirigé par les Haus-Rücker Co., les
radicaux viennois des années 60 ? Est-ce qu’en cas d’affaissement du toit, ces bulles se gonfleront
pour soulager les structures en bout de souffle ? Espérons que le pavillon nordique ne se transforme pas en
gonflable à la prochaine biennale !
Le
pavillon de Josef Hoffmann connaît le destin de toute construction en bout de
parcelle : servir d’étendoir
à linge. De grands draps pendent du plafond, tandis qu’un sol miroir assure
l’essentiel de la réflexion. Confier à l’optique le soin d’animer les lieux
n’est pas sans danger, et s’avère indiscret pour toutes celles qui ne portent
pas le pantalon : femmes en jupons, écossais en kilt, méfiez-vous du
pavillon autrichien !
Troisième
déclinaison du vide au pavillon magyar : hongrois gu'il y a une expo, mais il n’y en pas, ou à peine, et le visiteur est invité à se
rendre rapidement au rooftop pour admirer la vue sur les VMC du pavillon
général. Entre-deux, deux écrans racontent la colonisation du plus grand pont
de Budapest, envahi par des pratiquants du yoga pendant sa réfection. Chargé de
nettoyer les tags et les canettes laissés par cette appropriation très
freespace, georg espérée que ce genre
d’occupation sauvage ne se reproduira plus.
Vous
aviez loupé la biennale 2006, rattrapez-vous à la biennale 2016 avec
« Lieux infinis ». Sous le haut patronage de l’indéboulonnable
Patrick Bouchain, l’agence Encore Heureux met en espace la mutation des friches
industrielles en centres culturels, une thématique qui agite les pouvoirs
publics depuis le début du XXIe siècle, en témoigne le rapport sur le sujet remis
au secrétaire d’État Michel Duffour en 2001*. Autres temps, autres mœurs :
plus d’occupations illégales, mais des occupations temporaires négociées avec
la promotion privée qui reprendra le site (et finance le pavillon), des
activités festives menées avec la bénédiction des pouvoirs publics, qui ne
financent plus rien. En bref, une ZAD (zone aimable au développeur) qui est à
Notre-Dame-des-Landes ce que l’écomusée
est à l’usine : un lieu folklorique de refus du conflit et de négation du
rapport de force politique. La démarche écomuséale se retrouve dans les objets pendus aux murs de la salle
principale.
Le
pavillon israélien met une nouvelle fois les pieds dans le plat en abordant le
thème difficile du partage des lieux saints : esplanade des mosquées à
Jérusalem, tombeau de Rachel à Bethléem ou caveau des patriarches à Hébron. Une
plongée dans l’espace-temps restreinte par la politique et la religion, une
lutte pour des terres sacrées aux sens premiers du terme. Un pavillon qui
aurait mérité une distinction du jury.
.
AU PAVILLON ITALIEN DES GIARDINI
Comme
Charlot, BIG est un roi à New York où il a désormais installé son agence. L’infatigable Bjarke trône sur la
ville, qu’il a entourée de digues-espaces publics protégeant la ville et tous
ses biens immobiliers coûteux de la montée des eaux. Pour les New-Yorkais qui
n’ont pas vu de projets publics depuis la dernière glaciation, c’est audacieux.
Moins, peut-être, que ce projet que la mairie n’a pas confié à BIG ni à
personne d’autre : une digue pour stopper la montée des prix de l’immobilier
et la fuite des pas super riches hors de Manhattan.
L’agence
belge qui monte qui monte expose Caritas, son projet phare de réhabilitation
d’une clinique psychiatrique à Melle.
C’est beau, c’est fort, et ça décomplexe, puisque l’on voit
qu’on peut sans problème planter deux traverses au milieu d’un tirage grand
format qui coûte cher. Le jury a accordé un lionceau à cette installation à
voir donc, d’autant que l’agence pourrait bien être commissaire de la prochaine
biennale d’architecture. À moins que les organisateurs ne jouent leur va-tout
en bombardant BIG à la tête d’un évènement qui aurait manqué de dynamisme,
selon l’avis général.
Un
croisement entre la citrouille et la yourte : c’est dans cette forme
hybride de Zucchi expose Luigi Caccia Dominioni, architecte milanais des
années 50. Rétro, peut-être, mais bien fait et intéressant, par le
possible commissaire de la prochaine biennale si les deux options mentionnées
ci-dessous sont invalidées ou reportées et que l’on veut un italien. Choix
voisin : Stefano Boeri
Les maquettes de Zumthor, interdites de photographie, la condamnation ultime du carton gris Kahnien et de l’imprimante 3D, Star appartments de Michel Malzan à Los Angeles — une sorte d’immeuble de logement étudiant sous stéroïdes pour mal-logés à LA, ou encore la structure en tire-bouchon pop de Konrad Wachsmann.
À L’ARSENAL
Argentin, toujours tu citeras
Borges : « la plaine, au coucher du soleil, était quasi-abstraite,
comme vue en rêve ». Ceci étant posé, direction la pampa, installée ici
dans une sorte d’aquarium où
l’on atteint à l’infini — autre
thème borgesien — grâce à un
jeu de miroirs. Simple, mais efficace, cette nature en vitrine est un véritable
espace de respiration au sein de la Biennale. Autour de cette vitrine, une
galerie de projets publics construits en terre borgesienne depuis la fin de la
dictature
À
l’entrée de la corderie, des cordes donnent sur une pièce vide. Une annonce pas
très subtile du freespace, qui fait regretter l’installation de la biennale
aravenesque, et ses placoplatres soi-disant récupérés de la biennale d’art de l’année précédente. Dedans, une
vraie foire à la farfouille (ou à la saucisse selon d’autres) d’où rien ne ressort vraiment. Avec un peu de
temps, le visiteur finira bien par dénicher une pépite ou deux.
Parce
que ses métropoles polluées ne sont plus viables, la Chine explore sa face
rurale pour la deuxième édition consécutive et nous rejoue le grand bond en
avant. Et des projets d’architectures qui n’ont rien à voir avec la production
immobilière massive de la deuxième puissance mondiale. Clou du spectacle, un
complexe champêtre et son pavillon central à la toiture en ruban de Moebius,
vraisemblablement plus destiné aux cadres du parti qu’aux paysans du coin.
Magnifique, et construit en bois et bambous par des robots CNC installés dans
l’étable voisine : de quoi alimenter la crainte que la chine réveillée ne
fasse qu’une bouchée de nous.
Comme
la France il y a deux ans, et l’Irlande cette année, l’Italie s’interroge sur le devenir de ses
petites communes en voie de dépeuplement. Mario Cuccinella, ex-collaborateur de
Renzo Piano qui construit à l’occasion en Chine, explore son pays au milieu de
grands panneaux lumineux montrant des paysages sortis tout droit de la revue
Bell’Italia. Nos voisins transalpins savent mettre leur bel paese (beau pays), même ruiné, en valeur, mais le film qui
accompagne cette scénographie gâche le spectacle. Guest star, le commissaire en
personne. Mario Cuccinella au comptoir d’un bar de Calabre qui parle aux rares
habitants du coin, Mario Cuccinella qui contemple une vallée dépeuplée avec la
mine déconfite d’une Claire
Chazal après un crash d’avion,
Mario Cuccinella au petit matin blême d’un chantier d’éléphant blanc abandonné
dans les années 80 au cœur d’un
village sicilien. C’est un peu « Kim Jong Il looking at things ** »,
et l’on se demande anxieusement si le bon docteur Super Mario sauvera Gibellina
(Sicile) au prochain épisode.
La Catalogne n’est pas
indépendante, ce qui ne l’empêche pas d’avoir son propre pavillon, installé
dans un hangar de l’île San Pietro di
Castello. Des Catalans du pays profond - les olotiens de RCR - ont peuplé les
lieux d’une débauche de lentilles en plastique qui s’entre grossissent à
l’envie. On ne comprend pas tout, mais c’est étonnant.
Les
tours, on connaît à Hong Kong. Et pourtant cent maquettes de tours partageant
un même gabarit explorent à nouveau la question. Ce qui semble tenir de
l’exercice d’étudiant apporte sans en avoir l’air un vent d’utopie et de
critique bienvenu dans le climat étouffant de la sérénissime. En bref, une expo
qui vaut le détour.
Tous
les étudiants de première année
dessinent une chapelle - objet pédagogique appelé « observatoire
ornithologique » dans
les pays plus soucieux de laïcité.
Seuls les architectes connus parviennent à les construire. L’installation de
chapelles dans l’île de San Giorgio,
trace de la première participation du Vatican à la Biennale d’architecture, était annoncée
comme un événement de cette édition. Au final, un jeu séduisant des formes sous
la lumière divine qui ne semble pas avoir trop souffert des contraintes de
liturgie ou de démontabilité
frappant des pavillons qui doivent être déplacés en novembre. On s’abritera de
la pluie aux pavillons 2, 3, et 4, où la place est cependant limitée
Le
jury de la biennale a beau jeu de distribuer quelques lions à droite ou à
gauche : il est clair que cette compétition ne se joue plus que pour la
forme, et que pour tous, l’exposant vainqueur est celui qui a le plus beau
tote bag. L’accessoire devient essentiel, car il célèbrera la présence du pavillon bien
au-delà des murs. La compétition, boudée cette année par la France, voit dans
l’Australie un vainqueur incontestable, avec son sac brodé célébrant un
pavillon livré à l’agriculture indoor sans plants de cannabis. Deuxième ex aequo, l’Angleterre et
l’Allemagne, sac bleu ciel sobrement frappé du mot Island (l’île, par le pays)
pour nos voisins britanniques, reprenant l’éclatement des murs pour nos cousins
germains. Troisième prix, les USA, parce qu’il faut bien leur donner quelque
chose et qu’on ne peut pas vraiment compter sur leur pavillon pour ça.
Une chronique d'Olivier Namias uniquement disponible sur www.darchitectures.com
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