Alerte ELAN !

Rédigé par Marguerite PIERRE
Publié le 19/02/2018

Un célèbre concours, 14 ans avant la loi MOP: le 15 juillet 1971, le jury délibère pour choisir le lauréat de la construction du Centre Georges Pompidou. On voit notamment Oscar Niemeyer, Jean Prouvé et Philip Johnson.

Après l’appel de vendredi dernier (http://www.darchitectures.com/tous-les-architectes-se-mobilisent-contre-la-loi-elan-a3888.html), les architectes français alertent l’Etat sur la perte actuelle de qualité dans l’habitat que le projet de Loi Logement (loi ELAN) risque d’aggraver. Ils appellent le gouvernement à favoriser la construction de logements plus pérennes et plus innovants, s’adaptant aux besoins des habitants dans leur diversité. Voici leurs propositions :

Monsieur le Président de la République,

 

Monsieur le Premier Ministre,

 

Madame la Ministre de la Culture,

 

Mesdames et Messieurs les Ministres,

 

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

 

Dans quelques jours, le projet de loi « Evolution du Logement et Aménagement Numérique » (ELAN) entre en discussion au Parlement. Cette loi fixera durablement les conditions de la construction des logements et donc de la qualité de vie des Français. A ce stade, elle semble ne plus garantir la qualité architecturale et urbaine de l’habitat que sont en droit d’attendre nos compatriotes.

 

Nous constatons que la situation s’aggrave d’année en année.

 

Les inégalités spatiales et territoriales se creusent, dégradant le lien social et mettant à mal le vivre ensemble. Dans les métropoles, les classes moyennes quittent les centres villes où se loger est devenu trop cher. L'augmentation des prix dans les quartiers attractifs repousse les habitants vers des quartiers plus éloignés et concentre les populations les plus modestes toujours plus loin. Le pouvoir d'achat ne permet plus d’accéder à un logement adapté aux besoins de chacun. Selon la Fondation Abbé Pierre, près de 15 millions de Français sont fragilisés, mal logés ou privés de domicile. L'accès au logement est devenu un vrai problème de société.

 

La qualité des logements neufs se détériore. Si la qualité des équipements techniques des logements a pu progresser, leur qualité spatiale et d’usage s’est fortement dégradée. Ainsi, sur les dix dernières années, un trois pièces a perdu de 15 à 20 % de sa surface, soit l’équivalent d’une pièce. Les cuisines, éloignées des façades, n'ont plus d’éclairage direct ni de ventilation naturelle ; elles sont intégrées à un « séjour » trop réduit. Les chambres sont si petites qu'il est difficile d'y installer un lit et un bureau. Les parties communes sont « aveugles » et inhospitalières. L’ensemble des matériaux sont trop souvent de médiocre qualité.

 

Les charges d’entretien explosent du fait d’une construction au rabais. Trop souvent, 5 à 10 ans après leur construction, des malfaçons ou des vices cachés apparaissent dans les bâtiments récents qui entraînent des travaux d’entretien prématurés et non prévus dans les plans de financement. Cette situation précarise les acquéreurs déjà engagés dans le remboursement de prêts de plus en plus long (30 ans).

 

Économiser sur la conception ou la construction annule les bienfaits sociétaux d’un cadre de vie de qualité et n’impacte que très marginalement le prix final du logement. Faire l’impasse sur la qualité de notre cadre bâti aura des conséquences négatives sur le bien-être dans notre société. Les petites économies sur la conception et sur la construction augmentent considérablement les charges, directement assumées par les usagers, les locataires comme les propriétaires, l’Etat, les collectivités. Prescrire des matériaux bas de gamme, ne pas confier la surveillance des travaux à l’architecte du projet, avoir recours à une main d’oeuvre pas ou peu qualifiée, multiplie les risques de malfaçons, affaiblit la qualité et la pérennité des ouvrages. Le coût social et économique de ces programmes mal étudiés est exorbitant. Les opérations de renouvellement urbain qui réparent aujourd’hui les choix des années 70 se chiffrent chaque année en milliards d’euros pour les contribuables.

 

Transport, emploi, lien social, accès aux soins, aux équipements scolaires, culturels, sécurité des personnes, c’est l’ensemble de la vie en société qui est affecté négativement par une politique du logement au rabais. Ainsi, le logement ne peut être assujetti aux seules logiques du profit. Le législateur ne doit pas créer les conditions qui fabriquent aujourd’hui, les quartiers dégradés de demain.

 

Il n’y a pas de fatalité à cette crise programmée et la future loi est une opportunité historique pour le gouvernement et la puissance publique d’affirmer un choix de société durable pour nous et nos enfants.

 

Nous, professionnels de la création du cadre bâti, avons fait notre choix. Nous voulons une société qui rende solidaire les territoires, une société respectueuse des habitants comme des paysages et des ressources et qui protège les plus démunis. Une société libérée de contraintes administratives contradictoires qui empêchent l’émergence des initiatives et des projets, une société qui offre à chacun la possibilité de se développer et de s’épanouir.

 

Se loger est un droit fondamental pour tous. Le logement ne peut pas être réduit à un « produit économique », c'est un bien de première nécessité et une production culturelle de la société. Les logements doivent s’adapter aux besoins des habitants et des territoires dans leur diversité, et non l’inverse.

 

Nous construisons aujourd'hui le patrimoine de demain, témoignage de notre culture que nous laisserons en héritage. Mieux construire est une volonté largement partagée par de nombreux acteurs de la construction : élus, bailleurs sociaux, aménageurs, architectes, ingénieurs, promoteurs, entreprises. Tous les acteurs et professionnels responsables doivent porter l’exigence d’un juste niveau de qualité.

 

Nous en appelons à la responsabilité de nos gouvernants.

 

Nous alertons l’État et ses services sur la perte de qualité des logements et de leur insertion urbaine.

 

Nous appelons le gouvernement à mettre en oeuvre une nouvelle politique du logement qui réponde aux attentes et aux besoins actuels et à venir des habitants et de notre société. Pour parvenir ensemble à construire mieux pour les Français, nous formulons trois voeux :

 

- Que l’Etat soit le garant du maintien de la qualité architecturale des logements par des procédures d’achat public transparentes et équitables en maintenant les concours d’architecture et les fondamentaux de la loi MOP, qui encouragent la qualité architecturale, pour toutes les opérations publiques ou privées, qui mobilisent de l’argent ou du foncier publics.

 

 

- Que l’Etat s’engage de façon ambitieuse dans la rénovation du bâti existant au-delà de la seule question thermique. La lutte contre la précarité énergétique doit servir de levier pour mener une politique de rénovation plus globale, en termes de qualité d’usage et d’insertion urbaine.

 

 

- Que l’Etat soutienne une politique foncière novatrice. Qu’il encourage les montages innovants qui limitent la charge du foncier dans le coût du logement.

 

Notre pays est envié dans le monde pour la qualité de son patrimoine, de son architecture, « expression de la Culture » selon l’article 1 de la loi sur l’Architecture de 1977, et de sa politique du logement.

 

Nous avons bien noté la volonté politique du Président de « s’appuyer davantage sur l’excellence des architectes et la sensibilisation des acteurs chargés de la commande publique pour que l’architecture de demain soit durable, de qualité et adaptée aux territoires et aux usages ».

 

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les ministres et les Parlementaires, la Loi Elan doit vous permettre de réaliser cet engagement, afin d’agir dans le sens de l’intérêt général.

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