Hall d’entrée des 74 logements sociaux installés dans un ancien entrepôt de stockage parisien |
Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN architecte et professeur à l’Ensa de Marseille, François Brugel développe une pratique délicate et discrète qui puise ses fondements dans une compréhension large du tissu sédimenté de la ville et du bâti. Cette manière de penser et faire l’a très tôt amené à œuvrer sur des réhabilitations et transformations. À l’occasion de quatre opérations récemment livrées à Paris, nous l’avons interrogé sur certains thèmes qui nourrissent son travail et la production du logement en particulier. |
D’A : Votre pratique porte essentiellement sur le logement, un programme considéré comme âpre en raison de son étau normatif et réglementaire. Quels sont vos ressorts pour préserver une liberté de conception ?
François Brugel : Notre travail se confronte effectivement à la question du logement mais plus largement à la question de la ville et de l’architecture ordinaire, l’habitat en étant une composante essentielle. C’est cette dimension-là qui nous intéresse dans le projet : avant toute manipulation, on cherche à comprendre la situation qui nous est donnée dans son épaisseur historique et géographique et cette approche ne se réduit pas à étudier l’évolution du parcellaire à travers les cartes. Elle s’élargit aux conditions de fabrication de la ville dans le temps et donc à la production de matière et aux savoir-faire qui lui sont liés. Cette recherche ouvre un champ de réflexion pour le projet et se double de cette aspiration à donner un peu plus que le programme. Cela peut être une vue étirée, une mise en relation entre deux pièces, une distribution un peu plus large... Ce travail sur mesure est aussi un moyen de s’affranchir des standards qui pèsent sur le logement.
D’A : Le rapport à l’histoire, à la mémoire et même à l’usure semble en effet très présent dans votre travail, notamment dans vos opérations de réhabilitation. Comme s’il était important de rappeler que celles-ci ne sont pas qu’un sujet technique limité à une isolation thermique...
Rentrer par le prisme de la rénovation énergétique dans ces réhabilitations est déjà un moyen de prendre soin du patrimoine, même récent. Cependant, en se concentrant exclusivement sur cet aspect, l’écueil serait de mettre de côté des réparations qui tiennent compte de la manière dont ces bâtiments ont vécu et se sont transformés. La prise en compte de l’histoire invite à mettre en perspective la question technique, à formuler des réponses qui entremêlent passé, présent et futur, en gardant bien sûr en tête que nos interventions sont temporaires. À ce titre, la patine, l’usure et même les ratures constituent des matériaux pour le projet, avec cette idée de ne pas rajouter de la matière à la matière, des couches de doublages et de parements. Nous y sommes plutôt bien parvenus dans une opération de logements, où les finitions doivent toujours être impeccables et c’est assez rare pour être souligné (ndlr : quai de Valmy). Même les défauts du béton coulé en place sont restés visibles. Peut-être amorce-t-on une période où ce programme acceptera plus de souplesse...
D’A : On perçoit dans la description que vous faites de vos projets un attachement au vocabulaire et à sa grammaire. Vous sortez même de l’oubli certains termes dans votre lecture du bâti existant. Cette connaissance intime constitue-t-elle un levier pour élargir la palette d’outils de l’architecte dans le contexte de production actuelle ?
Cette question renvoie à une autre me semble-t-il : y a-t-il une brèche à investir entre tradition et modernité pour penser le projet d’architecture ? C’est cette dimension de « futur antérieur » qui m’intéresse. La connaissance du vocabulaire architectural à travers l’histoire, comme sa grammaire, nous guide dans cette réflexion. Pourquoi se priver dans la fabrique contemporaine des potentialités de techniques oubliées ? Dans les logements quai de Valmy, par exemple, nous avons vu l’intérêt de préserver les voûtains et de les compléter avec les moyens de construction actuels ; un plafond impensable dans le neuf et qui permet de conserver la belle hauteur des pièces. On peut aussi évoquer le comble à l’impériale du bâtiment. Cette forme de cintrage spécifique nous est apparue comme une injonction d’y installer une pièce unique pour apprécier le volume dans son intégralité. Les mots influencent nos choix conceptuels et suscitent des envies à l’agence. Ils expriment aussi des actes essentiels – qui ne sont pas toujours visibles une fois le bâtiment livré. Veillons à ne pas les oublier et à ne pas nous limiter à un vocabulaire générique, sinon tout finira blanc et maquillé.
D’A : Vous reprenez à votre compte cette phrase de Roland Barthes : « tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne. » on est tenté de l’interpréter comme une attitude détachée des modes stylistiques de l’époque. Où vous situez-vous ?
La traversée des mouvements m’intéresse davantage que l’appartenance à l’un d’eux et je ne me retrouve pas dans les pics stylistiques de ces dernières décennies. Pour autant, je ne suis pas du tout indifférent à l’actualité architecturale, particulièrement en cette période stimulante où l’on cherche justement à économiser la matière. Cette quête repose d’ailleurs la question des labellisations qui ne vont pas du tout dans ce sens. Certains architectes se fixent comme règle de recourir à des structures filigranes pour y parvenir. Pour ma part, j’éprouve le besoin de mettre un peu de chair dans le logement et la décision de mettre la juste matière se prend souvent au moment du chantier, dans ce rapport physique à la construction. Quai de Valmy, le choix de ne rajouter aucun doublage dans le hall d’entrée et la cage d’escalier a été fait une fois que le bâtiment était purgé. C’est cet art du bricolage, où l’intuition croise le discernement, que j’apprécie.
D’A : Quelle est votre vision de la production de logement actuelle ?
Il me semble qu’on vit un moment particulièrement riche avec des postures habiles et courageuses de la part d’architectes jeunes et moins jeunes qui œuvrent dans les campagnes ou se positionnent sur la préservation de l’existant. Ces formes d’engagement attestent d’une prise de conscience qui gagne aussi les étudiants dans les écoles d’architecture : le logement fabrique de la ville et du sens, c’est un sujet politique. Il ne peut se réduire à un produit financier contrairement à ce qui guette la production actuelle.
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